GIGN : Interview du Commandant CHESNEAU (1990)

5939

Commandant Chesneau :

Je suis Saint-Cyrien de formation. Je suis entré à Saint-Cyr Coëtquidan en 1977, j’en suis sorti en 1979. J’ai fait une année d’application à l’école de Melun, dans la Gendarmerie, ensuite j’ai choisi la Gendarmerie Mobile. J’ai donc fait mes premières armes dans un escadron à Verdun. C’est là, à l’occasion d’un stage, que j’ai rencontré le Capitaine Barril et trois de ses sous-officiers qui, venant encadrer 15 jours de sport de combat, m’ont permis de faire plus ample connaissance avec le GIGN.

A l’issue de ce stage, où un certain courant était passé entre le Capitaine Barril et moi, un an s’est passé et en 1982, au mois d’août, le Commandant Prouteau, à l’époque, démarrant sa mission de sécurité à l’Elysée, m’a téléphoné pour me demander si j’étais toujours dans l’état d’esprit de vouloir tenter ma chance pour entrer au GIGN, question à laquelle j’ai répondu favorablement.

Je suis donc venu passer mes tests comme tous les officiers de cette unité, début septembre 1982. Les tests se sont bien passés puisque j’ai été affecté au GIGN le 1er octobre 1982, date de mon entrée dans cette unité.

Y.G. :

Entre septembre 82 et septembre 89, quel a été votre parcours au sein du G.I.G.N. ?

Cdt C. :

Donc en 1982, quand je suis arrivé au GIGN, c’était une époque un peu particulière, en ce sens que le Commandant Prouteau était devenu chargé de mission auprès du Président de la Répu­blique pour faire une évaluation de sa sécurité et en mettre éven­tuellement une nouvelle en place. Un certain nombre d’officiers sont arrivés à ce moment-là dont je faisais partie pour, d’une part assurer l’encadrement de l’augmentation d’effectifs de l’unité et, d’autre part, permettre le remplacement des officiers susceptibles de partir.

Donc, pendant 3 années, entre septembre 82 et 85, j’ai fait mon année de stage préparatoire, stage d’ins­truction, comme tout gendarme ou tout officier, tout personnel du GIGN. Ensuite la deuxième année j’ai encadré le stage de formation de l’effectif qui nous suivait, de la classe suivante, et la troisième année j’ai assuré des fonctions de gestion de l’unité, ce qui fait que pendant 3 ans j’ai appris ce qu’était le GIGN par la base, j’ai appris à d’autres ce qu’ils devaient savoir de leur métier et j ‘ ai fait fonctionner l’unité dans ses aspects logistiques, dans ses aspects de gestion et de préparation à l’opération.

J’ai donc tiré et gardé de ces trois années-là un souvenir impor­tant, car j ‘ ai eu la chance de côtoyer la quasi totalité des anciens personnels du GIGN qui ont fait en sorte que cette unité est devenue ce qu’elle était en 82. J’ai eu la chance, d’autre part, de travailler avec tous les officiers qui m’ont précédé, aussi bien comme commandant d’unité que simple officier dans cette unité et cela m’a permis, on le constatera par la suite, de bien saisir ce qu’était vraiment le GIGN en dehors de l’aspect opérationnel, l’aspect missionnel.

En 85, premier virage. C’est le Préfet Prouteau à l’époque qui m’a demandé, compte tenu du fait qu’il y avait de nombreux officiers, nous étions 6 au GIGN, s’il m’intéressait de créer une cellule instruction, un petit groupe d’instruction, à l’intérieur du GIGN, pour assurer le suivi de la formation des gendarmes quant à leurs missions d’obligations de sécurité et de protection, gendarmes en ambassades, gendarmes qui s’occupent de la sécu­rité de généraux, et d’essayer de faire passer le message du GIGN à l’étranger et donc de former des unités étrangères à l’image du GIGN puisque c’est cette image qui est importante.

C’est donc ainsi qu’en 85, le groupe instruction est né avec des anciens sous-officiers du GIGN auxquels ont été adjoints des sous-officiers des deux autres unités du GSIGN. En fait le groupe instruction du GIGN est très vite devenu le groupe instruction du GSIGN.

Il avait donc cette mission de vitrine, de VRP, de représenter le GSIGN à travers le monde, ce qui est une mission importante parce qu’un ensemble comme le GSIGN a d’autant plus de valeur et de poids qu’il est non seulement capable d’effectuer des missions, mais qu’il est capable d’apprendre à d’autres à effectuer ces mêmes missions, avec leurs moyens à eux, avec leur mentalité, sur leur terrain. Cela est important, une unité comme la nôtre n’est pas seulement efficace par elle-même, mais elle l’est aussi par l’écho et par la tradition qu’elle est capable de faire passer par ses messages. Ceci a été ma mission entre 85 et 88. Mon deuxième tiers temps.

A l’issue de cette deuxième période de 3 ans, un certain nombre de facteurs et d’événements ont fait en sorte que la situation des effectifs des officiers dans le GIGN a un peu évolué et d’une situation avec des effectifs importants, on est passé à une situa­tion avec des effectifs relativement faibles. J’ai donc été récupé­ré du groupe instruction, au GIGN proprement dit en tant que Commandant en second au profit du Commandant Legorjus qui commandait le GIGN à cette époque-là.

Ce retour a été non seulement fait pour assurer ces fonctions de Commandant en second mais aussi a priori mettre le pied à l’étrier pour prendre, à la suite du Commandant Legorjus, le commandement du GIGN. Le Commandant Legorjus ayant pris le commandement en 85, arrivé en 89, il a été estimé au niveau de la Direction de la Gendarmerie qu’il devait passer le flambeau et c’est ce qui a fait que le 1er septembre 89, j’ai moi-même pris le commande­ment du GIGN.

Y.G. :

Vous avez évoqué tout à l’heure le travail que vous avez effectué avec les différents patrons du G.I.G.N.

Pouvez-vous nous citer leurs noms et les dates auxquelles ils ont commandé le G.I.G.N ?

Cdt C. :

Tout à fait, c’est d’ailleurs une chose importante parce qu’une unité comme la nôtre n’existe que par une certaine pérennité et une certaine tradition qui vont se poursuivre et se passer d’un commandant d’unité à l’autre. Ce n’est pas le genre d’unité où F on peut tout refaire tous les j ours. Nous sommes obligés de con­tinuer d’une certaine façon l’oeuvre du précédent. Donc moi, l’avantage que j ‘ ai eu, étant arrivé relativement de bonne heure, c’est de travailler avec le Commandant Prouteau qui a créé le GIGN en 1973 et qui en a assuré le commandement jusqu’en 1982.

Ensuite il y a eu le Capitaine Barril qui, arrivé en 77 au GIGN, a pris le commandement entre 82 et 83. Le troisième Com­mandant d’unité a été le Commandant Masselin entre 83 et 85. Le quatrième était le Commandant Legorjus qui, ayant pris le commandement en 85, l’a quitté en 89. Je suis donc le cinquième de la lignée et j’assure ce commandement depuis un an mainte­nant, depuis le 1er septembre 89.

Y.G. :

Comment expliquez-vous le tribut que le GIGN a eu à payer en vies humaines à l’entraînement et jamais en interventions ?

Cdt C. :

La première des raisons est fondamentale, c’est qu’on va beau­coup plus loin à l’entraînement qu’en intervention. A l’entraînement chacun va être capable de se découvrir, de savoir où se situent ses limites. C’est à l’entraînement que l’on va mettre au point des techniques, faire travailler des gens ensemble dans des conditions difficiles car comme ce vieil adage militaire le dit : entraînement difficile, guerre facile.

Il est vrai que 99 interven­tions sur 100 ne demandent pas de moyens et d’efforts extraor­dinaires. A l’entraînement les gens vont très loin, touchent cer­taines de leurs limites humaines et techniques, en intervention ils savent quel cheminement ils vont pouvoir prendre bien avant de pouvoir effleurer ces limites. Lorsque nous sommes à nos limites, nous sommes beaucoup moins efficaces.

En intervention, nous allons tout faire pour ne pas être à nos limites. A l’entraînement si l’on ne touche pas nos limites, en intervention on risquera l’accident, la mauvaise réaction, la précipitation ou au contraire la lenteur, l’utilisation d’un moyen inadapté. Tous ces problè­mes-là, s’ils ne sont pas déterminés à l’entraînement, risquent d’être rencontrés en interventions à un moment où l’on ne pourra plus trouver de solution adaptée, seulement immédiate et réactive, ce qui n’est jamais bon. Parfois, hélas ces limites sont franchies, mais pas toujours de façon involontaire. La limite n’est pas le fait forcément de l’homme mais de la technique utilisée.

Il faut que les deux choses arrivent ensemble en limite d’efficacité. Si le potentiel humain est capable d’aller au-delà du potentiel technique, c’est là que l’accident se produit. Le moyen n’était pas mauvais, l’homme n’a pas préjugé de ses possibilités, mais il n’y avait pas une coordination homme/technique adaptée et simultanée, il y avait un décalage. Tant que le décalage est dans l’autre sens, il n’y aura jamais de problème, mais si l’homme est plus fort que la technique utilisée, c’est là que le danger est réel et effectif. Il se trouve que les accidents dont on a pâti à l’entraînement n’étaient pas liés à un problème seul mais à une conjoncture de problèmes, que ce soit en parachutisme, en plongée, en rappel ou en franchissement.

Il y avait un individu qui voulait aller loin mais qui ne maîtrisait pas suffisamment le matériel pour se permettre d’aller jusque là. C’est ce qui nous a permis d’éviter des accidents mortels en missions. Nous avons eu des blessés mais jamais de décès. Des unités comme les nôtres, il leur faut un peu de chance. Cette chance il ne faut pas la rechercher mais il faut savoir qu’il y a des moments où il en faut. Notre chance à nous a toujours été présente en missions. Toute unité paie un tribut, que ce soit en mission ou à l’entraînement. Par contre, il est moins déstabilisant pour une unité d’avoir ces accidents à l’entraînement plutôt qu’en missions.

Si l’accident arrive en mission cela veut dire que le système n’est pas bon, que dans la conception de la solution il y a une faille, et cela c’est grave pour soi, il faut remettre en question tous les principes sur lesquels on se fondait pour réussir car l’on a échoué, et cela peut se reproduire. C’est la remise en question la plus compliquée, celle en qui l’on croyait, solide mais pas infaillible. L’accident en missions est de la responsabilité de tous, en entraînement, c’est de celui qui le subit.

Y.G. :

A travers toutes les missions effectuées par le GIGN, pensez-vous que l’affaire d’Ouvéa au niveau de l’intervention revenait au GIGN ou était plus une intervention militaire ? Le GIGN était-il fait pour ce genre de mission ?

Cdt C. :

II y a deux réponses. Il est évident que si l’on se replace dans le contexte qui a fait que la prise d’otages a eu lieu, je parle des otages gendarmes territoriaux qui étaient dans l’unité, les pre­miers otages, F on se situe dans un cadre judiciaire et administra­tif classique. Nous sommes dans un territoire français et la solution de ce type de problème est entre les mains de forces de police, que ce soit la Police Nationale ou la Gendarmerie. C’est un cas que l’on vit tous les jours, moins sensible, car moins im­portant, mais chaque prise d’otages est du même type que celle d’Ouvéa. Donc, dans ce contexte, le GIGN était parfaitement adapté à résoudre ce problème.

La deuxième réponse, c’est que le contexte sociale-politique du moment a fait que des décisions ont été prises, lesquelles ont amené à désigner le Commandant militaire localement implanté comme responsable de l’ensemble des moyens. Il y a eu donc là un transfert de responsabilités qui s’est effectué par le fait que l’on a désigné le Général Comman­dant en Chef des troupes françaises présentes en Nouvelle Calédonie comme patron de la mission. Les gendarmes sont des militaires. Ils rentraient donc dans le contexte des forces armées dont le Général était responsable.

Ce transfert de responsabili­tés était une décision gouvernementale, lequel gouvernement est parfaitement maître de ses moyens. A partir de ce moment-là le GIGN restait une unité parfaitement adaptée mais par des be­soins opérationnels et pour une conception tactique, il n’était pas en mesure de résoudre le problème tout seul car nous n’étions pas suffisamment nombreux sur place. Matériellement parlant, le GIGN seul c’était peu de monde. De plus parmi eux il y avait des otages.

Il y avait donc là une obligation de faire cause commune entre deux ou trois unités militaires dont une de gendarmerie, qui sont toutes trois des unités spécialisées dans le traitement de problèmes épineux. Donc, le problème n’était plus un simple problème GIGN mais plus national, plus militaire, et c’est ainsi que l’on s’est trouvé avec comme forces d’intervention un ensemble de 3 unités, représentatives chacune d’une armée qui ont eu à traiter ensemble un problème qui, sans être une action de guerre, s’en rapprochait énormément non pas par la qualification de l’acte de la prise d’otages, délictueux au sens propre du terme, mais la responsabilité en a été confiée à l’armée proprement dite donc cela devenait un acte de guerre.

Le GIGN s’est trouvé partie prenante d’une action de guerre qui était au départ une action de terrorisme de prise d’otages de droit commun classique. Pendant le temps de la réduction de la prise d’otages, il s’agissait d’un combat entre deux forces qui se sont trouvées opposées, l’une détenant des otages et s’étant mise hors la loi et l’autre représentant la loi pour mettre fin à cet état de fait.

Le GIGN n’était plus représentatif de ce qu’il est actuelle­ment. C’était le GIGN utilisé et agissant en tant qu’unité mili­taire composée de militaires et mettant au service de la loi ses moyens, ses personnels et ses matériels au même titre que les gens des deux autres unités l’ont fait.

Y.G. :

Après cette mission d’Ouvéa, pensez-vous que le GIGN soit capable de résoudre toutes les missions de banditisme, de terro­risme existantes que l’on a pu connaître pendant ces dernières années ?

Cdt C.:

Certainement, le GIGN est fait pour cela, il l’a démontré à maintes reprises. Sa force est d’être adaptable à n’importe quel type de mission.

Cette adaptabilité n’a pas attendu, dans son élément extrême que représentait Ouvéa, cela pour se manifester. Si l’histoire ne se reproduit jamais, elle a des éléments d’ajustement et de com­paraison qui font que l’on peut rapprocher un certain nombre d’événements entre eux.

En 76, une affaire importante, celle de Djibouti, n’a pas eu la même répercussion médiatique, le con­texte était différent, le pays n’était pas la France contrairement à la Nouvelle Calédonie, les otages étaient des enfants. Le résultat de l’action a fait au moins autant de victimes que celle d’Ouvéa, car en dehors des 7 preneurs d’otages qui ont été neutralisés, des forces hostiles et étrangères étaient situées de l’autre côté de la frontière. Ces preneurs d’otages étaient appuyés par des troupes étrangères qui sont intervenues dans la réduction de la prise d’otages.

Lorsque les gens du GIGN ont neutralisé tous les preneurs d’otages, ils ont été eux-mêmes pris à partie par les forces étrangères situées de l’autre côté de la frontière qui n’ont pu être neutralisées que grâce au concours de la Légion étrangère. Déjà , en 76, il y avait eu l’utilisation du GIGN dans un contexte beaucoup plus large, militaire, avec une autre unité, en l’occurrence la Légion étrangère, pour résoudre un problème du même type que celui d’Ouvéa.

La seule diffé­rence, c’était que le contexte n’était pas le même, la médiatisa­tion n’a pas été du tout la même, le fait que ces otages étaient des enfants puisque c’était un car de ramassage scolaire, et le fait qu’ils aient tous été libérés, à l’exception d’une fillette, a soulagé tout le monde et a fait que l’on s’est rendu compte à ce moment-là que pour résoudre ce problème, il n’y avait pas d’autres solu­tions que de neutraliser tous les preneurs d’otages. Il n’y avait pas de dialogue, de discussions, de tentatives du respect de la personne humaine, là il n’y avait pas d’autres solutions que de mettre fin définitivement à cette prise d’otages par la neutralisa­tion de tous les preneurs d’otages.

Donc en 76 déjà, il y avait eu un cas de ce type-là. 12 ans après, Ouvéa, en 88, il y a exactement les mêmes conditions. Des otages, des preneurs d’otages qui ne sont pas des terroristes mais qui ont quand même terrorisé les otages qu’ils ont pris puisqu’ils en ont tué 4. Ils se sont mis en position de terroristes. Il est évident que si ces gens-là avaient eu une attitude différente de négociateurs, il est certain que l’action ne se serait pas terminée de cette façon-là.

Ils ont tout fait pour en arriver là. 76 – 88 , on se rend compte que le GIGN a évolué, 76 un effectif qui était le tiers de celui actuellement, personne en 88 n’était présent en 76 à Djibouti, il n’y a pas eu de recommen­cement, c’est une continuité et si les moyens ont changé dans leur définition, les tactiques, les techniques et les hommes sont tou­jours représentatifs du même état d’esprit.

Le GIGN n’a pas bouclé la boucle, il a entamé un nouveau mouvement de spirale, permanente, qui fait que régulièrement on repasse par des points très similaires à ceux par lesquels on est passé quelques années auparavant mais que rien ne se recommence, ne se reproduit, n’est définitif, terminé, ne se boucle.

Y.G. :

Pour vous, sans le passé, sans l’antériorité du GIGN, ce dernier ne serait pas ce qu’il est ? Le GIGN que vous avez à votre disposition ne serait pas le même ?

Cdt C. :

Absolument, je ne suis que la résultante des 15 années qui m’ont précédé.

Y.G. :

Pensez-vous que les techniques mises à la disposition du GIGN ont évolué ou se sont à peine améliorées et que l’homme reste l’homme ?

Cdt C. :

Je pense que les techniques n’ont pas fondamentalement évolué.

Elles se sont parfois réorientées, mais elles sont suffisamment vastes pour pouvoir contenir en elles-mêmes la réponse à beau­coup de problèmes. Elles n’ont pas changé ni évolué car la tactique n’a pas vraiment évolué mais par contre cette réorien­tation n’est pas que de notre fait, elle est aussi une réponse à une réorientation de ceux qui sont en face de nous.

Y.G. :

Pour faire une synthèse de ce que nous venons de voir, les gens du GIGN ne sont pas des Rambo, ils peuvent intervenir à visage découvert et à visage humain, les moyens qu’ils ont à leur disposition servent ou ne servent pas en fonction du type de mission, pour remettre tout cela en place, pour une personne qui serait intéressée un jour de rentrer au GIGN, pour quelqu’un qui se fait une idée peut-être arrêtée et fausse du GIGN, en ne pouvant pas comprendre le texte de ce livre et les images, com­ment pourriez-vous résumer et nous expliquer ce qu’est le GIGN, ce que l’on trouve au GIGN par rapport aux vocations qui sont en train de se créer par l’existence du GIGN ?

Cdt C. :

Quelqu’un qui veut entrer au GIGN, doit lire ce livre et ensuite me téléphoner. Pour aller un peu plus loin, je dirais que rentrer au GIGN ce n’est surtout pas un certain nombre de choses : faire partie d’une unité de cow-boys, d’une unité de gens qui n’ont qu’une idée en tête c’est-à-dire faire des acrobaties, de gens qui n’ont pas la tête sur les épaules, de gens qui pensent qu’ils sont les meilleurs partout et tout le temps, tout cela c’est surtout ce qu’il faut éviter de croire quand on veut entrer au GIGN. Il ne faut pas croire que l’on va être tout cela en entrant au GIGN.

Pour entrer au GIGN, il faut avoir envie de vivre des moments très forts, à plusieurs, dans un groupe où tout le monde ressent les mêmes choses au même moment, et avoir envie d’être porteur d’une certaine éthique, celle qui consiste à dire que malgré tout ce que l’on peut voir, tout ce que l’on peut entendre, tout ce qui peut se dire, les valeurs essentielles restent toujours les mêmes et lorsque l’on est partie prenante d’un groupe de gens qui essaient de faire perdurer ces quelques notions permanentes, ces choses essentielles que sont le véritable respect de soi-même et des autres, la véritable envie de servir le public, les gens, j e crois que si l’on a tout cela en soi, si l’on a un grand appétit de découvrir des choses auxquelles on n’avait même pas pensé, si l’on a un grand appétit d’humilité, je crois que l’on peut devenir un excellent GIGN.

C’est ce qui fait que le GIGN restera toujours ce qu’il est car justement il ne fait pas appel à des gens qui sont représentatifs de tous les mauvais critères dont je parlais auparavant. Il fait appel à des gens stables, pondérés, humbles pour eux-mêmes et pour ce qu’ils représentent, mais à la fois volontaires, coura­geux, ouverts, riches, et je pense que lorsque l’on a tout cela en soi et que l’on a envie de se frotter à d’autres qui ont les mêmes qualités, on est un parfait GIGN en puissance.

Y.G.

Il semble être à la mode depuis quelque temps pour les anciens patrons du GIGN de se raconter et se répandre dans des livres. Pensez-vous écrire un livre le jour où vous partirez et que vous inspire cette façon de se livrer à travers un livre ?

Cdt C. :

Pour l’instant, j’ai déjà tellement de mal à rédiger un rapport de deux pages que je n’imagine pas écrire un livre de plus de 200 pages. Simplement par cet aspect-là je n’ai pas envie d’écrire quelque livre que ce soit et d’autre part je pense que sur le GIGN, les livres qui existent et le vôtre en est un autre, même s’il n’est pas écrit par quelqu’un du GIGN, beaucoup de choses ont été dites. Ce qui n’a pas été dit ou montré va l’être par l’intermé­diaire de ce volume et en dehors des confessions d’un enfant du siècle je ne vois pas ce que je pourrais écrire de nouveau.

Quant à raconter des événements auxquels j’ai participé, il faudrait vraiment qu’un événement fondamental trouble ma vie au GIGN, la reformule dans des termes différents pour que j’éprouve le besoin d’écrire sur le GIGN. Je pense qu’en matière d’ouvrage, un livre reste à écrire sur le GIGN mais c’est le livre qui raconterait ce que sont les gens du GIGN et ce qu’ils sont non pas dans leur attitude qui est la plus médiatique, c’est-à-dire pen­dant les opérations, mais ce qu’ils sont vraiment, ce qu’ils recèlent en eux et ce qu’ils sont fondamentalement dans leur propre personne.

Ce livre-là, il sera sûrement écrit un jour, en serais-je l’auteur, je ne le pense pas. Mais il peut être intéressant d’y songer.

Y.G.

En vous laissant le mot de la fin, avez-vous un message à trans­mettre à nos lecteurs ou à vos hommes qui découvriront cet interview ?

Cdt C. :

Les gens qui vont prendre la peine d’ouvrir ce livre, j’espère qu’ils vont trouver du plaisir à le lire et à le regarder, qu’ils seront surpris, peut-être, et c’est un bon signe, dans la mesure où l’on est favorablement surpris et j’espère que l’interview que je conclus ici leur permettra de bien comprendre au-delà des images qui vont suivre ce qu’est ce GIGN dont beaucoup parlent mais peu connaissent la réalité.

Quant à l’ensemble des gendarmes qui travaillent avec moi dans cette unité, ce que je peux leur dire qu’ils ne sachent déjà c’est que sans eux, ni ce livre, ni cet interview n’auraient pu exister.