GIGN : Les 3 mousquetaires, Prouteau, Barril et Lepouzé (1982)

10815

En 1982, alors que le GIGN commence à être reconnu comme l’élite mondiale anti-terroriste, trois figures se démarquent alors au commandement de l’unité: Cpt. Christian Prouteau, Lt. Paul Barril et Lt. Claude Lepouzé.

Et non, ils ne sont pas quatre comme dans le célèbre roman d’Alexandre Dumas, mais ce sont trois phénomènes. Chacun aussi dissemblable des deux autres que possible. Il y a tout d’abord le plus curieux, le chef. L’homme clé du G.I.G.N. Son créateur et son ani­mateur jusqu’à la mi-82.

Christian PROUTEAU est l’homme-clé de l’unité: le chef. A 38 ans il a créé et animé l’unité. C’est Michael Caine dans « L’Aigle s’est envolé ». Même élégance, même désinvolture un peu ennuyée, même assurance que celles du célèbre acteur anglais dans le film. A trente-huit ans, il représente l’authentique chef de guerre. Un capitaine conscient de ses responsabilités et surtout respectueux à l’extrême de la vie de ses hommes. Il ne prise guère le genre de phrases « un sacri­fice humain est nécessaire pour enlever le monticule », prononcées par trop de stratèges à la mode lors de la guerre de 14-18. Pour lui, une opération est vraiment impeccable lorsqu’il n’y a pas de casse et que tous ses hommes rentrent au bercail sains et saufs.

— « Tout subordonné doit avoir une confiance absolue dans son chef » a-t-il coutume de répéter.

Sportif, il sait aussi bien donner l’exemple de sa bravoure que de ses qualités physiques. Ceinture noire de Judo, fanatique de delta­plane, il pratique toutes ces activités très variées pour entretenir sa carcasse longiligne d’un mètre quatre-vingt-dix. Son goût très pro­noncé pour le risque, l’aventure, l’ont toujours poussé vers l’action.

Ancien officier de l’armée de terre, il s’occupait déjà, avant de créer le G.I.G.N. de la formation des unités commandos parachutistes de la gendarmerie. Dans le cadre de la défense opérationnelle du territoire. Il était alors chef de peloton d’un escadron de trente hommes.

Courageux, il l’est. Il l’a prouvé et l’a même payé très cher. Non qu’il ne connaisse pas la peur… mais il sait parfaitement la domi­ner au moment adéquat.

— Quand je commence une opération, me dit-il un jour, j’ai le trac. La trouille, si tu préfères. Parce que je suis un homme comme les autres. Simplement, j’essaie d’y faire face le mieux possible.

Psychologiquement, le personnage est aussi complexe que le tra­vail qu’il effectue. D’un premier abord à la fois courtois et légèrement distant, il donne souvent l’impression de ne pas écouter ce qu’on lui dit. En réalité, il enregistre tout. Ayant cette faculté redoutable de s’intéresser à une conversation tout en pensant à autre chose. Il a l’air faussement rêveur de ceux qui ont l’habitude de sonder l’âme humaine.

Voici comment le présente Eric Yung du Quotidien de Paris à propos de l’affaire de l’ambassade d’Irak et de l’assassinat, par les barbouzes de l’ambassade, de l’inspecteur Capella : « On a vu le chef du G.I.G.N. désigner un par un les barbouzes irakiennes qui avaient ouvert le feu sur les policiers français. Son œil averti les avait tous photographias. « Interpellez celui-là, je l’ai vu tirer de la troisième fenêtre du consulat. Et celui-ci, le moustachu avec les petites lunettes. Il était derrière la porte de l’ambassade. C’est lui qui a donné l’ordre de tirer. Lui, le type en costume bleu, ne le laissez pas partir… » Christian Prouteau ne tenait plus. Il avait tout vu, tout remarqué !

L’un des traits dominants de son caractère reste son goût pour les problèmes « tordus » ou dits « insolubles ». Pour lui, tout problème, quel qu’il soit, comporte obligatoirement au moins une solution. Et il n’aurait de cesse jusqu’à ce qu’il la trouve.

Il déteste avoir tort. En toutes choses, il a la volonté de convain­cre, mettant alors en œuvre, pour appuyer ses spéculations ou ses opi­nions, toutes les ressources d’une dialectique aussi implacable qu’acé­rée. Lorsqu’il se sent en difficulté, il peut parfois, comme tant de gens « très bien » aller jusqu’à la mauvaise foi. Je me suis d’ailleurs bien souvent perdu dans les méandres de ses raisonnements, ne sachant alors pas très bien ou il voulait en venir.

Incontestablement subtil et fin politique, il m’a inspiré un sur­nom : « Le Florentin » ! Sensible et raffiné comme les dirigeants de cette étonnante principauté italienne, il fait preuve d’une grande curiosité pour les choses de l’esprit et un goût réel pour l’art et les bel­les choses. Son intelligence vive et lucide est toujours en éveil. Ses connaissances sont plutôt éclectiques : il sait se passionner autant pour un livre d’histoire contemporaine que pour un traité de mathématiques ou d’astronomie. Tous les grands mystères scientifiques et philosophiques de notre temps l’intéressent. La vie et la mort font autant partie de ses préoccupations que l’énigme posée par l’appari­tion des O.V.N.I. Ayant la possibilité de compulser à ce sujet, les innombrables rapports de la gendarmerie, il professe des théories aussi audacieuses que séduisantes sur ces apparitions dans le ciel.

Électronicien accompli, guitariste à l’occasion, il raffole des montres, des armes et des automobiles, à condition qu’elles soient anciennes et somptueuses. Sans être mondain, il est un compagnon de table ou de sortie très agréable. Il ne dédaigne pas l’humour à l’occasion, à condition qu’il n’en soit pas le sujet (ni le mien qu’il juge par trop insolent).

Je le vois d’ici en lisant ces lignes s’indigner en remettant d’un geste familier ses lunettes sur l’arête de son nez et grommeler : Il n’est pas gonflé ! !

Je me suis souvent interrogé sur ce qui faisait courir Prouteau. Pourquoi ce diable d’homme continuait au fil des années son infernal duel avec la mort, sa perpétuelle provocation à la chance et au danger. Ce n’est sûrement pas une question d’argent, les soldes de la gendar­merie sans être dérisoires, ne sont pas considérables. Certes, il explique les motivations de cette chasse continuelle par une certaine éthique de la vie, une conception très précise de l’honneur et du service public.

Ce sont bien sûr des raisons logiques, solides et assurément sincères. Pourtant en étudiant à fond « Ceux d’en face » je me suis demandé s’il n’y avait pas autre chose, si le chef du G.I.G.N. après huit ans de luttes acharnées et périlleuses contre le crime et la délin­quance n’avait pas un sentiment d’insatisfaction devant la médiocrité des adversaires entre guillemets qu’il avait trouvé en face de lui. S’il n’était pas devenu une sorte de joueur d’échec invaincu ne rencontrant que des partenaires tricheurs et ridicules.

Car lorsqu’on énumère ses adversaires, on ne découvre que des paumés comme à Brionne, à Faverges, des illuminés comme au Touquet, des fanatiques comme à la Mecque, de répugnants personnages comme à Clairvaux où à Lisieux, une guerre sans soldats comme à Djibouti.

Prouteau, je l’ai déjà dit, est un authentique chef de guerre. Et comme tel, il aurait sans doute voulu tout au fond de lui-même ren­contrer un adversaire à sa mesure. Quelqu’un qui, pour des motifs différents des siens l’affronte avec subtilité, intelligence, savoir faire cl dignité. Mais évidemment un tel homme n’aurait pu être antago­niste lors d’une de ses interventions.

Le chef du G.I.G.N. combat des individus sans honneur, fort éloignés des hommes que décrit Jean Renoir dans « La Grande Illu­sion ». Et une scène de ce film extraordinaire me revient en mémoire. Lorsque Erich Von Stroheim dit à Pierre Fresnay :

— C’est la fin des Rauffenstein et des Boeldieu. Vous ne trouvez pas que c’est dommage ?

Paul Barril est non seulement le second du Commandant Prouteau mais aussi et surtout son ami, le compagnon qui partage tout. Les satisfactions comme les peines. Les joies comme les souffrances. H était au chevet de son chef lorsque celui-ci a été gravement blessé à Pauillac. Deux ans auparavant, Christian l’avait assisté lorsqu’il s’était retrouvé lui-même à l’hôpital. Son parachute s’était mis en tor­che à plus de quinze mètres et la chute terrible qui aurait tué n’importe qui d’autre, l’avait cloué au lit avec de multiples fractures et une colonne vertébrale, selon sa propre expression « en accor­déon ».

Un sacré bonhomme ce Paul, avec une vitalité incroyable. Pen­dant son hospitalisation, impossible de le faire rester immobile comme le lui recommandaient les médecins. Il ne suivait aucun conseil, aucun traitement de façon sérieuse. Il voulait se lever. Il voulait sortir ! Les infirmières du Val de Grâce s’en souviennent encore. Quel soulagement dans le service, lorsqu’il partit ! Sa volonté est à la mesure de sa vivacité et de son exubérance. Après son accident, sa rééducation fut très dure. Parce que, comme toujours, il voulait aller trop vite. Il s’imposa des efforts et une discipline de fer pour retrou­ver rapidement toutes ses facultés.

Sa femme Angelica raconte qu’à sa sortie d’hôpital il voulut l’accompagner dans ses cross quotidiens. (Elle est aussi une sportive accomplie). Lorsqu’elle le distança, il ne dit rien mais ses yeux bleus trahirent son terrible désappointement. Et il n’eut de cesse de progres­ser et de la dépasser. Lorsque ayant retrouvé sa forme, il y arriva faci­lement, il se retourna et eut son inimitable sourire, carnassier et far­ceur. Il était satisfait.

Dur avec lui-même, il l’est aussi avec ses hommes qu’il n’hésite pas réveiller en pleine nuit pour « un petit entraînement ». Comme on se méfie, au G.I.G.N. lorsque Paul Barril parle de « faire un petit entraînement » ! Ce dernier peut aller du cross de 50 kilomètres sous la pluie ou la neige à une séance de natation durant vingt-quatre heu­res d’affilée.

— Pour être vraiment bien entraîné, ajoute-t-il hilare.

Sa grande passion reste le ski. Ce qui est normal pour un savoyard comme lui. Mais sa spécialité professionnelle est la plongée. Il était d’ailleurs plongeur dans l’armée avant de s’occuper du G.I.G.N. Toujours intrépide, il lui arrive souvent de négliger un peu trop les paliers de décompression pour gagner du temps.

Efficace, il se veut au courant des dernières nouveautés techni­ques qu’il teste avec passion. Pour lui, plus le matériel est sophistiqué dans une intervention ou dans l’entraînement, plus il y a de chance d’économiser les vies humaines. Ne disait-il pas lors d’un récent inter­view.

— Il est enfantin de tirer dans le tas. Si nous raffinons autant sur l’équipement c’est que nous voulons obtenir un maximum de rensei­gnements sans avoir à faire couler le sang. Pour nous, c’est une règle absolue !

Il raffole d’ailleurs des gadgets électroniques et autres. Les explo­sifs et les armes n’ont plus de secret pour lui. Il les bricole ou les trans­forme à l’occasion. Contrairement à Prouteau, plus théorique, il est capable de démonter n’importe quelle arme ou de la réparer.

Il est considéré par tous les hommes du groupe comme un « bri­coleur de génie ». S’il avait voulu, il aurait sûrement gagné le concours Lépine depuis longtemps. N’a-t-il pas entre autres transformé des endoscopes de médecin pour scruter par un orifice microscopi­que, l’intérieur d’un local ? N’a-t-il pas eu l’idée d’utiliser des stéthos­copes pour détecter derrière les murs toute présence humaine… Et j’en passe !!

Il ne part jamais en intervention sans sa Samsonite, célèbre dans toute la caserne de Maisons-Alfort. Son contenu m’a laissé rêveur. Cela va du minuscule Derringer, calibre 38 (tout de même !), aux bar­res d’explosifs, aux grenades à gaz ou non et à des bizarres instru­ments indéfinissables pour un profane.

— Si l’hélico du G.I.G.N. explose un jour en plein vol, ne vous étonnez pas ! me dit un jour un Colonel de gendarmerie goguenard, Paul se sera gouré de fil ! !

En intervention, Paul et Christian forment un tandem étonnant. Le premier, intuitif et instinctif comme un animal, assistant l’autre, plus secondaire et calculateur.

Et puis, il y a le Lieutenant Lepouzé. Un phénomène aussi, celui là. Ce fut lui, qui lorsque le G.I.G.N. fut créé, seconda Christian Prouteau dans sa tâche difficile et tellement différente de ce qui avait été tenté jusque là. Il était adjudant à l’époque. C’est le vétéran du groupe. Il a pratiquement participé à toutes les interventions avec sa discrétion et son efficacité habituelles.

Secret, il ne parle pas beaucoup. Il agit. Au premier abord, il a un air « vachetard » que démentent des yeux pétillants de malice et de force tranquille. Il a une tête de vieux baroudeur. Cœur d’or et « caboche de cochon ». C’est lui qui forma les premières « bleusailles » qui entraient à l’époque au G.I.G.N.

Extrait du livre GIGN, Vocation anti-terroristes. Gilbert DEFLEZ (1983), éditions Publi-team.