Témoignage : Thierry P. raconte Marignane (1994)

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Décembre 1994, un Airbus A300 à destination de Paris s’apprête à décoller de l’Aéroport Houari Boumediene d’Alger. Sur la piste, quatre terroristes du groupe islamique armé attendent la fin de l’embarquement, montent rapidement par les passerelles et sortent leurs armes (AK47, Uzi, pistolet automatique). Douze membres d’équipage et plus de deux cent vingt passagers sont pris en otages. Le gouvernement français est aussitôt prévenu, deux groupes d’assaut du GIGN s’envolent en direction d’Alger. La détermination des quatre terroristes est symptomatique, ils affirment vouloir donner une leçon aux français.

Pendant plusieurs heures, les autorités françaises et algériennes communiquent et négocient. De nombreux ordres et contrordres se succèdent… La France souhaite la présence du GIGN sur le tarmac afin d’assister une unité d’assaut algérienne qui pourrait intervenir.

A bord de l’avion, la tension grandit d’heure en heure; trois otages sont exécutés. Heureusement, entre-temps, les « pirates de l’air » libèrent plus de soixante passagers.

Paris veut maintenant une intervention sur le sol français ; Alger cède aux pressions et donne son accord.

Un message réussit à parvenir au pilote de l’avion sans que les terroristes ne s’en aperçoivent : « Tachez par tous les moyens de décoller d’Alger et de vous diriger vers la France ».

26 décembre, trois heures du matin, l’Airbus se pose sur l’aéroport de Marseille Marignane, il n’a pas assez de carburant pour aller plus loin.

Le GIGN peut maintenant déployer un dispositif proportionnel à la menace: négociateurs, tireurs d’élite, médecins, pas moins de cinquante membres du « groupe » sont sur zone.

Durant toute la journée, des opérations de négociation et de renseignement sont effectuées.

Les terroristes exigent le plein de kérosène pour s’envoler vers Paris : Des indices laissent à penser qu’ils souhaitent utiliser l’avion comme bombe volante et l’écraser sur la capitale.

Laissons Thierry P., ancien membre du GIGN, vous raconter la suite de cette incroyable prise d’otages qui aura duré cinquante-quatre heures et qui est, à ce jour, la plus extraordinaire libération d’otages réalisée.

« Les négociations engagées depuis la veille n’ont pas abouti. Le dernier ultimatum va bientôt expirer. Rien ne bouge et la nuit commence à tomber.»


17H05


Coup de théâtre, les réacteurs de l’Airbus se mettent en marche et l’avion commence à se déplacer. Nous savons tous que la piste d’envol a été bouclée par les camions de pompiers. Que nous préparent-ils ? Nous sommes tous aux aguets lorsque nous voyons l’Airbus se diriger vers nous et venir se placer sous la tour de contrôle. Tout de suite nous comprenons leur stratagème : Ils veulent faire sauter l’avion sous la tour de contrôle, point stratégique de l’aéroport.


17H10MIN


Tout s’accélère, tout va très vite, les ordres descendent de la cellule de crise: « Aux prochaines exactions, vous donnez l’assaut ».

Le commandant Favier transmet les ordres et chaque groupe se prépare sur sa passerelle. Mes sept gars plus le commandant sont tous motivés. Nous nous sommes entraînés sur le même type d’avion pendant deux heures dans la matinée. Chacun connaît sa place, chacun sait ce qu’il à faire une fois à la porte. Chacun vérifie son armement ; Moi, je vérifie une dernière fois le barillet de mon Manurhin. L’adrénaline commence à monter, quand, soudain, des coups de feu ! Le bruit caractéristique de la Kalachnikov se fait entendre à plusieurs reprises en direction de la tour de contrôle. D’où nous sommes, nous voyons les vitres de la tour s’étoiler sous l’impact des balles.


Puis le Commandant lâche à la radio « Top action ».

Là, les gorges se serrent, les visages blêmissent et les passerelles démarrent. Nous avons à peu près deux cent cinquante mètres à faire mais les secondes seront longues. Nous avons fait cinquante mètres lorsque la porte arrière droite de l’avion s’ouvre: Un terroriste armé de sa Kalach. commence à rafaler sur tout ce qui bouge. Puis, à la porte avant droite, même scénario. Mais là, nous sommes dans l’axe et plusieurs impacts viendront s’écraser sur la passerelle sans ne toucher personne. Pendant que nous avançons vers l’avion, à plusieurs reprises je dis au commandant de baisser sa visière. Il m’expliquera plus tard qu’il parlait à la radio et que sa visière le gênait.

A mi-chemin, nous nous regardons les uns les autres: Nos visages ne sont plus les mêmes; l’angoisse, la détermination, je ne sais pas… peut-être les deux. Là, nous nous donnons tous une poignée de main, signe d’encouragement ou signe d’adieu ?

Nous savons tous où nous allons.

Nous sommes maintenant à la porte. La tension est à son comble puis tout va très vite. Pascal et Olivier sont chargés d’ouvrir la porte, Eric est en appui avec son HK, je suis à ses cotés le Manurhin pointé vers la porte. Elle est bloquée, merde, que se passe-t-il? Tout de suite je pense à un terroriste qui la bloque de l’intérieur.

« Eric, fais gaffe, il y a du monde derrière ! ».

Au même instant, Jeff, au volant de la passerelle, percute tout de suite et donne un petit coup de marche arrière. La porte s’ouvre, Eric s’engouffre et se met en appui face à l’arrière. Je bondis, comme à l’entraînement, dans le petit couloir qui mène au cockpit. J’entends des coups de feu, je ne sais pas d’où cela provient. Je pense immédiatement à l’équipe de Roland ou de Philippe qui prennent en compte respectivement la porte arrière gauche et arrière droite et qui seraient au contact des terroristes.

En trois enjambées, j’arrive à l’entrée de la cabine. Je comprends tout de suite d’où proviennent les coups de feu que j’ai entendus : L’un des terroristes, revêtu d’une veste de steward et avec de grosses lunettes noires sur le nez, me tire dessus avec un pistolet automatique. Il est à genoux, à droite de la porte. Face à moi, un autre terroriste en chemise blanche, dégarni, avec un pistolet Uzi dans la main gauche. A droite, sur le siège derrière celui du copilote, un troisième en chemise blanche avec, me semble-t-il, un autre pistolet automatique. Bernard, le commandant de bord, réussit à se recroqueviller sur son siège.

Tout s’enchaîne comme à l’entraînement; il faut analyser très vite la situation. Je choisis de neutraliser le dégarni à l’Uzi en premier, celui avec les lunettes et qui m’a loupé en deuxième puis celui en chemise blanche en troisième.

Et puis c’est le choc! Le quatrième terroriste, que je n’avais pas vu, sur ma droite, me tire dessus. La première balle me touche à l’épaule, une douleur horrible comme si j’avais pris un trente huit tonnes à pleine vitesse. Je suis paralysé, mes oreilles sifflent, je ne peux plus bouger.

J’apprendrai, plusieurs semaines plus tard, par Jean-Paul, le copilote, que le terroriste était caché sous la tablette du mécanicien navigateur.

Deux, puis trois, puis quatre, cinq, six balles me touchent. La douleur de la première était si forte que je suis comme anesthésié. Pendant ces quelques secondes, ma vie défile rapidement dans ma tête, ma fiancée, mes enfants, ma famille et c’est le trou noir. Une dernière balle vient me frapper au visage, elle me sauvera la vie : Sous le choc je suis projeté en arrière, à l’extérieur du cockpit, sur le dos. Je me souviens qu’à ce moment précis je me suis dit « Reste sur le dos, ne reste pas face au couloir ».

Avec le peu de force qui me reste, je réussis à ramper vers la porte gauche, à l’abri des regards. Le terroriste voyant que j’étais toujours en vie continue de vider son chargeur dans ma direction, mais au jugé, à travers les wc et les vestiaires en carton pâte. En face de moi, je vois les balles traverser la paroi et le strapontin des PNC à quelques centimètres au-dessus de moi.

A ce moment, j’ai cru ma dernière heure arrivée. Le temps me paraissait interminable. Mais que font donc Roland et Philippe? En fait, quinze secondes seulement se sont écoulées. Enfin, la machine infernale entre en action: Sauvé, les copains arrivent! Rapidement les toboggans sont percutés et en quelques secondes les cent soixante et onze otages sont évacués. Roland est le premier à arriver à mes cotés :

« Ça va? »

« Oui, mais fais gaffe, il y en a encore un ».

Je me sens mal, je ne sens plus mon bras droit, je baigne dans mon sang. J’ai la sensation que ma tête a doublé de volume et qu’elle va exploser. Les minutes s’écoulent lorsqu’une voix crie « Grenade ».

Avec un frisson d’horreur, j’entends un objet rouler à coté de moi. Dans un sursaut d’énergie, je réussis à me tourner face à la porte avant gauche, attendant, impuissant, l’explosion. Deux, trois, quatre, boum : un bruit assourdissant et une douleur insoutenable. Je sens chaque morceau de fonte déchirer et pénétrer dans mes fesses et mes jambes. Une douleur horrible me parcourt le corps. J’ai dû perdre connaissance pendant quelques secondes.

Une main cherche à accrocher le col de ma combinaison, je sors de ma torpeur. Un copain essaie de me tirer vers l’arrière. J’essaie comme je peux de l’aider, en poussant avec mes jambes qui sont mortes et que je ne sens plus. Mon sauveur réussit à m’extirper jusqu’à la porte de gauche, et là, deux ou trois collègues dont Jacky – j’ai reconnu sa voix – me hissent sur le toboggan.

Maintenant, je glisse doucement dans la fraîcheur de la nuit jusqu’aux médecins. Les coups de feu sont de plus en plus rares, Marcel et Jacques sont à mes cotés. Les médecins du groupe, Dominique et Bernard, découpent ma combinaison et me posent une perfusion. La morphine et l’anesthésie commencent à faire effet, la douleur s’en va doucement et moi, je m’endors…»

Thierry P. Brevet GIGN n° 60.

Les passagers sont sains et saufs, onze gendarmes sont blessés, les quatre terroristes sont tués.


Vidéo de l’assaut (INA)


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Extrait du reportage « le temps des secrets »