Les secrets de l’opération Thalathine (libération des otages du Ponant)

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Vendredi dernier, des pirates somaliens ont pris en otage Le Ponant, un trois-mâts qui naviguait au large du Golfe d’Aden. L’inquiétude était
grande pour les trente membres d’équipage, dont une majorité de Français. Dès le début, la marine française a pris en main les opérations. Une semaine après, les otages étaient libérés et les brigands arrêtés. Récit.

Ils cinglent désormais vers Djibouti. Les ex-otages du Ponant embarqués à bord de la Jeanne-d’Arc devraient atteindre le « pays des Braves » lundi, vers 12 heures. Un avion, parti hier matin de Paris, assurera alors leur rapatriement sur le sol français. Leur bateau, un yacht de luxe appartenant à la CMA CGM, a été arraisonné vendredi 4 avril par des pirates alors qu’il entrait dans le golfe d’Aden, au large des côtes somaliennes. Plus lent que le bâtiment militaire français, Le Ponant devrait, lui, atteindre Djibouti dans la nuit de lundi à mardi. Le voilier est barré par un nouveau capitaine de la CMA CGM, accompagné de deux ex-otages – le maître de man?uvre et un mécanicien – ainsi que de quatre militaires. Il est toujours escorté de près par le Commandant-Bouan, une frégate de la marine française.

« Les otages vont bien, ils n’ont pas subi de violences. Ils ont été nourris correctement, c’est même leur cuisinier qui préparait les repas« , raconte Claude Vergez-Larrouget, le médecin-major de la Jeanne-d’Arc. « Notre fils a pu nous téléphoner cinq minutes ce [samedi] matin, témoigne Eve Stramba-Badiali, la mère de Timothée, 26 ans, l’officier mécanicien du bord. Il avait l’air bien, serein. Et puis on a vu qu’il avait bien fait son travail? » En allant acheter les journaux, samedi matin, Eve a découvert en une du Figaro la photo de son fils barrant l’air déterminé l’un des deux Zodiac, annexes du Ponant, qui ont permis vendredi aux ex-otages de procéder eux-mêmes à leur évacuation jusqu’au Jean-Bart. Ils ont ensuite rapidement été transférés sur la Jeanne-d’Arc qui avait installé à son bord un dispositif de réanimation et de chirurgie, si jamais les choses tournaient mal. Il n’a pas été nécessaire?

Une nuit, l’un des malfrats disparaît…

Vendredi 4 avril. Le Ponant, voilier de luxe long de 88 mètres, croise au large des côtes somaliennes, direction Alexandrie. En fin de matinée, douze pirates armés de kalachnikov et de lance-roquettes, arrivés sur deux petites embarcations à l’allure inoffensive, prennent d’assaut le navire. Alertées, les autorités françaises dépêchent sur place le Commandant-Bouan, une frégate de la Task Force 150 qui croise non loin de là. A son bord, le commandant Hervé Couble ne s’éloignera plus jamais de plus de 2 km de sa cible, qui met le cap sur la province du Puntland, repaire notoire de pirates. Un premier contact entre les deux navires est pris le dimanche 6 avril au matin. Derrière la radio, le capitaine du Ponant, Patrick Marchesseau: les trente membres de l’équipage vont bien, ils sont bien traités.

A ce moment-là, les pirates – qui ne donnent jamais leur nom, ni même leur prénom, et se présentent comme les « Somalian people » ou « Somalian milicians » – refusent de négocier: ils attendent leur chef qui, lui, parle anglais. Entre-temps, le capitaine du Ponant épate les militaires français par son sang-froid. « Il nous expliquait en anglais ce que voulaient les pirates, que l’on s’éloigne, par exemple, puis, entre deux phrases, il glissait rapidement, en français: ‘ils sont nerveux’ ou au contraire, ‘ils sont tranquilles aujourd’hui' », explique le commandant Couble. La nuit, l’équipage est regroupé dans une salle de réception. Le jour, dans un premier temps, les captifs sont obligés de patienter sur le pont supérieur, en plein cagnard. Puis, à force de protestations, le capitaine obtiendra que les otages descendent à l’étage en dessous, sur un autre pont, mieux abrité.

De leur côté, les pirates semblent apprécier leur séjour à bord. Le premier soir, ils dévalisent le bar du Ponant? Les militaires français s’inquiéteront pendant toute la semaine de l’effet de l’alcool sur des esprits déjà échauffés. Une nuit, l’un des malfrats disparaît. Certains pensent qu’il est tombé à l’eau, ivre mort. « Ou peut-être a-t-il rejoint la côte« , suggère une source informée.

Les pirates se demandent comment ils vont sortir de là

Une fois ancrés au large de Garaad, un village du sud du Puntland, à 850 km au nord de Mogadiscio, les pirates mettent le bateau à sac et filent revendre leurs trouvailles à terre. Pendant toute la semaine, des villageois, et non une ONG comme cela a pu être dit, apportent eau et poissons sur Le Ponant. Les pirates font de fréquents allers-retours à terre. Un « vaisseau mère » croise également au large, pensent les militaires; mais ils ne parviendront pas à le localiser. « Les bateaux des pirates et ceux des pêcheurs se ressemblent tous« , constate l’amiral Gérard Valin, commandant à bord du Var, de la zone maritime de l’océan Indien.

Dimanche 6 avril. L’armateur prend contact avec les preneurs d’otages vers 21 heures. Un PC de crise est installé à Marseille dans l’ancien centre CMA CGM, un bâtiment blanc à deux pas du siège actuel. C’est Rodolphe Saadé, fils de l’armateur et directeur général de la CMA CGM, qui mène ces négociations en anglais, par radio, parlant avec les pirates plusieurs fois par jour. Il est conseillé par des experts du GIGN dépêchés dans la cité phocéenne. La négociation ne porte pas tant sur le montant de la rançon que sur le sort des preneurs d’otages. Ceux-ci sont particulièrement préoccupés par les conditions de l’échange: ils se demandent comment ils vont sortir de là alors que des navires de guerre français croisent dans la zone. Il y a aussi les clans rivaux qui lorgnent sur leur butin, et dont ils se méfient.

Véronique, la femme de Rodolphe, responsable des croisières au sein de l’entreprise familiale, se charge pour sa part des contacts avec les familles de l’équipage. Le père, Jacques Saadé, proche de Nicolas Sarkozy, le rencontre régulièrement à Paris. Il accepte immédiatement de payer une rançon, tandis que le Président n’en aime guère l’idée.

Au fil des jours, la force française se déploie autour du navire de croisière. Le Commandant-Bouan est rejoint par la frégate Jean-Bart, le pétrolier-ravitailleur Var, le navire-école Jeanne-d’Arc qui s’est dérouté d’un tour du monde, mais aussi six hélicoptères ainsi que des commandos marines parachutés en mer. Parmi eux, l’amiral Marin Gillier, en charge de l’opération tactique.

Une rançon proche de 2,5 millions de dollars

Mercredi 9 avril. Les négociations sont sur le point d’aboutir. L’armateur et les pirates semblent trouver un accord. « Une première tentative de libération a été envisagée le jeudi, révèle Hervé Couble. Mais les preneurs d’otages n’ont pas arrêté de changer d’avis. » Le lendemain, Nicolas Sarkozy, qui avait promis aux familles de reprendre les choses en main à partir du jeudi si la situation ne se débloquait pas, ordonne à la cellule de crise interministérielle de chapeauter désormais l’opération. Le gouvernement somalien donne son feu vert. Les Saadé ne rompent pas pour autant le contact avec les ravisseurs. Les discussions s’accélèrent. Et les pirates, qui sont désormais dix-huit – sept sont montés à bord -, deviennent de plus en plus nerveux. « Ils nous répétaient sans cesse de ne pas nous approcher et, à la jumelle, on pouvait les voir, armés, encercler les otages« , poursuit Hervé Couble.

Vendredi 11 avril. L’échange peut enfin avoir lieu: les militaires déclenchent l’opération « Thalathine » (trente, en somali, comme le nombre d’otages). Le rendez-vous est prévu sur l’eau. Trois pirates d’un côté, trois membres du GIGN de l’autre. Dans leurs mains, une rançon qui serait, selon nos informations, proche de 2,5 millions de dollars. Très rapidement, les otages, restés à bord du Ponant avec quelques ravisseurs, sont libérés. Le capitaine Marchesseau est le dernier à quitter le bateau. « Pour aller plus vite, nous lui avons demandé de sauter à l’eau« , précise l’amiral Marin Gillier.

Les otages sont sauvés. La deuxième phase de l’opération peut commencer. Grâce à l’avion de surveillance Atlantique 2 qui patrouille à 10 km de là, les militaires français ne quittent pas les bandits des yeux. Ils repèrent certains d’entre eux dans Garaad. « Nous ne sommes pas tout de suite intervenus pour ne pas faire de blessés parmi les civils« , indique l’amiral Gillier. Un gros 4X4 est détecté, qui quitte le village à vive allure. Le même qui a servi une heure plus tôt à récupérer la rançon. « C’est là que nous avons lancé l’embuscade« , poursuit Gillier.

Les membres de l’équipage du voilier, ici à leur arrivée sur le porte-hélicoptères Jeanne-d’Arc, sont attendus dès lundi soir à Paris (photo : Sergent Sébastien Dupont/ECPAD)

Probablement jugés en France

Tout va très vite. Un commando marine à bord d’un hélicoptère tire sur le moteur du 4×4, qui s’arrête net. « Les pirates n’ont pas compris ce qui se passait. Ils n’avaient pas vu l’hélico« , sourit l’amiral. Les six hommes rechignent à se rendre. Premier tir de sommation. L’hélico se pose, trois militaires descendent à terre. Une ou deux rafales sont tirées en l’air. Les pirates sont plaqués au sol. Les mains ligotées dans le dos, ils sont embarqués dans l’hélico et transférés sur le Jean-Bart.

Ils seront interrogés par les gendarmes français et probablement jugés en France. Une première. Dans leur véhicule, les Français saisissent des kalachnikov (des AK-47 et AK-74), mais aussi une partie de la rançon, un tiers selon nos informations. Parmi les pirates, le passager avant de la voiture est légèrement blessé à un mollet. « Il a pris un éclat du moteur, il a depuis été opéré et va très bien« , assure Marin Gillier, confirmant au passage que « personne n’a été tué durant l’opération« . De son côté, le gouvernement de transition de Mogadiscio a appelé « les autres nations » à se joindre au combat contre les pirates au large de la Somalie. « Si chaque gouvernement mène des opérations comme celle des Français, je crois qu’on ne verra plus jamais de pirates dans les eaux somaliennes« , a estimé son porte-parole, Abdi Haj Gobdon.