[GIGN] Le G.I.G.N. et la « Wanda » la sadothérapeute

8045

« Wanda », un surnom d’héroïne de bande dessinée ou de série noire.
« Sado-thérapeute », un métier peu connu, sauf peut-être de quelques initiés ou de lecteurs assidus des dossiers de la brigade mondaine.
Liez les deux mots « Wanda — Première sadothérapeute de France », vous ferez rêver les amateurs de romans d’espionnage… mais sûrement pas les gendarmes de la brigade d’Ecully (Rhône) et encore moins leurs collègues du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (G. I. G. N.). Eux savent, en effet, que derrière ce titre, brandi comme un bouclier, se cache un petit bout de femme de trente-sept ans, mal dans sa peau, victime de ses phantasmes.
Wanda — continuons à l’appeler ainsi — n’accepte pas d’être taxée de marginale et rejetée par le voisinage qui, depuis quelque temps, multiplie les pétitions pour obtenir son départ, et retrouver ainsi le calme, un moment troublé, d’une résidence bon chic, bon genre. Elle ne se résout pas à quitter son appartement douillet, malgré la menace très officielle d’expulsion qui la guette. Il faudra alors l’y contraindre… au besoin par la force.
Un banal fait divers pour l’huissier de justice qui, un matin de novembre, accompagné de deux gendarmes, s’apprête à instrumenter. L’ascenseur s’arrête au sixième palier. La porte automatique à peine entrouverte, un coup de feu claque. Personne n’est touché. Trois marques sont gravées sur le mur près de l’ascenseur : c’est le repli. Tentative infructueuse notera l’huissier sur le procès-verbal d’expulsion.
En une fraction de seconde, Wanda, à l’affût derrière la porte entrebâillée de son appartement, vient de piper les dés du jeu de société.
Elle a tiré… pour tuer. Elle est dangereuse… il faut la mettre hors d’état de nuire. Un nouveau fort Chabrol à investir… mais comment ?

*
*    *

« Origine Groupgend Lyon stop — Demande concours G. I. G. N. pour neutraliser individu armé retranché dans appartement sixième étage immeuble sis Ecully (Rhône) stop — Forcenée a déjà fait usage arme contre huissier accompagné deux gendarmes lors mise à exécution mesure expulsion stop — Procureur République et préfet police émettent avis favorable — stop et fin ».

Malgré la sécheresse des mots, le texte est précis.
— «L’affaire est lancée, attendons les réactions.» Dans son bureau de la caserne Suchet à Lyon, le commandant de groupement se remémore les heures passées, depuis la veille, à convaincre les autorités de faire appel au G. I. G. N. pour résoudre «sans vague» un problème apparemment simple, mais plein d’embûches et de risques.
Les téléscripteurs crépitent, l’information circule.
A Satory, le patron du G.I.G.N, pré-alerte une première équipe d’intervention.

Il est 12 h 30, le feu vert est donné. Une demi-heure plus tard ils seront treize du groupe d’intervention à prendre la route de Lyon ; treize, ce n’est pas un hasard, sans être superstitieux on croit peut-être à la magie des nombres… et à la chance.
Avant le départ, un premier contact est pris avec le commandant du groupement du Rhône :
— Mon colonel, trouvez quelqu’un qui puisse me décrire la personnalité de Wanda.
— Le journaliste qui l’a approchée.
— Très bien. Je veux connaître le contexte psychologique qui l’a acculée au désespoir. Procurez-moi un plan précis de la résidence et de l’appartement, si possible. Essayez d’isoler le quartier; que l’on puisse travailler en paix. A ce soir, mon colonel.
En reposant son téléphone, le capitaine LEGORJUS sait qu’il peut compter sur les territoriaux, à Lyon, pour préparer l’opération. Sans eux le G.I.G.N, ne pourrait rien faire. A eux la tâche ingrate, pense-t-il. A nous les gros coups risqués, mais minutieusement préparés et engagés avec des moyens adaptés puis… au bout du compte, lorsque ça réussit, la une des journaux et les superlatifs.

Tandis qu’il roule vers Lyon sur l’autoroute, le capitaine LEGORJUS réfléchit en serrant rageusement les dents ; c’est sa manière à lui de se concentrer. Ce n’est que sur place qu’il pourra décider de la meilleure méthode à employer. Il le sait bien, mais comment échapper à la préoccupation qui le hante : sa mission. Il fait corps avec elle, il sait que dans l’action, la vie de ses hommes dépendra de la justesse de son analyse et de la précision de ses ordres. Ses hommes, il peut leur faire confiance ; ils sont bien entraînés, et en parfaite forme physique et morale. Mais l’impondérable, la réaction imprévue de l’adversaire, tout doit être calculé, y compris les risques à prendre si l’on veut éviter la casse. Et puis… le G.I.G.N, n’a pas le droit d’échouer (certains attendent en effet pour voir si la relève est bien assurée depuis que les anciens ont quitté le groupe).
S’il veut tout savoir — en jargon de métier, faire l’approche de l’objectif —, c’est que déjà dans sa tête, s’entrechoquent de nombreuses solutions.
Agir en force en donnant l’assaut après avoir déterminé, à coup sûr, la position de l’adversaire et l’armement dont il dispose ; cela suppose que l’on puisse sonder directement les murs de l’appartement et voir au travers, minuter soigneusement le déclenchement de l’assaut, faire sauter la porte ; mais alors Wanda va tirer… , nous aussi… , quel gâchis !
Parlementer, c’est une pratique déjà éprouvée, mais au préalable il faut cerner la personnalité de Wanda, savoir si la vue de l’uniforme ne va pas l’affoler puis la déterminer à tout risquer pour tout perdre. A voir I
Entrer par surprise; même entraînés à jouer les «rats d’hôtel» on a de bonnes chances d’échouer et d’être ramené au cas précédent.
On verra sur place, pense le capitaine LEGORJUS Mieux vaut se relaxer en écoutant «radio-cassette» qui, au fil des kilo¬mètres, distille une musique douce et reposante.
Aux approches de Lyon, il est de bon ton d’écouter «F. I. L.» — un flash d’informations régionales —, on ne dit rien de la forcenée d’Ecully, l’affaire n’a peut-être pas trop transpiré.

A la brigade d’Ecully on s’impatiente.
— A quelle heure doit arriver le G.I.G.N, demande mademoiselle M…, substitut du procureur de la République.
— Ils ont quitté Satory à 13 heures, ils seront là vers 18 heures, répond le colonel.
A 17 h 15, le capitaine LEGORJUS se présente. Aussitôt le point de la situation est fait; Wanda, chez elle, n’est pas seule on ignore tout de son visiteur; la résidence est calme, les journalistes ne se bousculent pas; aucune action n’a été tentée depuis l’intervention avortée de l’huissier.
Le journaliste local est écouté avec attention. Il n’est pas en mesure d’apporter des précisions sur l’appartement qu’occupe Wanda, en revanche, il brosse un tableau éloquent du personnage ; première sadothérapeute de France, à la fois narcisse aimant et détestant son image, masochiste et cyclothymique, elle semble actuellement dans une phase dépressive d’apathie et de mélancolie; en tout cas elle éprouve une entière aversion pour tout ce qui représente l’ordre, et la vue d’un képi peut vite la faire passer de la dépression à une excitation extrême.
Rien n’échappe au capitaine LEGORJUS :
— Le décor est planté. La solution n’est pas évidente. Allons voir sur place dit-il.

*
*    *

La nuit est à peine tombée sur la résidence de la Dombardière. L’immeuble a la forme allongée d’un boomerang. Sa partie concave donne sur un jardin encore fleuri malgré la saison, l’autre face surplombe un parking presque désert. A chacun des huit niveaux, un balcon court sans interruption tout le long des façades. Quelques fenêtres éclairées, ici et là, donnent vie à l’ensemble qui, au sixième étage, abrite la «forcenée de Lyon».
Une surveillance discrète est en place. Les badauds, peu nombreux, sont tenus à l’écart ; le temps triste et froid n’invite guère à la flânerie et à la curiosité. Tant mieux, la discrétion est préférable aux feux de la rampe, dit le capitaine LEGORJUS , en se lançant à grandes enjambées, suivi de trois de ses hommes, dans l’escalier.

Ses hommes, il peut leur faire confiance, ils sont bien entraînés…

Rien ne distingue les quatre hommes du G.I.G.N., aussi doivent-ils montrer leur carte professionnelle pour que la locataire du cinquième accepte de les recevoir. C’est chez elle qu’ils entendent faire leur reconnaissance ; en effet, avantage des résidences modernes, les appartements situés les uns au-dessous des autres se ressemblent tous.
Tandis qu’avec complaisance elle livre ce qu’elle sait sur le logement de Wanda, tout ici est passé au peigne fin : la répartition des pièces, les balcons, la disposition des portes-fenêtres et leur système de fermeture, la moquette très épaisse qui assourdit les pas, le système de fixation de la porte palière. Chaque détail compte et doit être imprimé dans les mémoires : il importe d’être à même de se déplacer, les yeux fermés, dans un appartement qu’on est appelé à investir en quelques secondes.
— Si nous pouvions maintenant accéder chez le voisin de Wanda au sixième ? interrogent les gendarmes.
— Rien de plus simple, rétorque leur interlocutrice, madame D… est une amie. Si cela peut vous être utile, elle n’y verra que des avantages, car depuis les coups de d’hier — il y a un impact dans sa porte — elle ne vit plus.

Furtivement le capitaine L… se rend chez madame D… Vite convaincue, elle donne les clefs de son logement et s’éclipse rassurée et confiante ; elle avait déjà décidé d’aller coucher à Lyon chez des amis. Un à un, les gendarmes du G.I.G.N, rejoignent leur chef au sixième étage dans l’appartement voisin de celui de Wanda.
Des balcons, courant sans interruption d’un appartement à l’autre sur chaque façade de l’immeuble, il est facile d’observer les baies vitrées de chez Wanda ; elle n’a pas fermé les volets roulants, les systèmes de fermeture des portes-fenêtres ne sont pas bloqués, il est possible de s’introduire sans bruit dans la place.
— Mon capitaine le visiteur sort de chez Wanda, il prend l’ascenseur pour descendre, lance le gendarme chargé d’observer le palier par l’œilleton de la porte d’entrée.
— Vous deux, prenez l’escalier, Interceptez-le « en douceur » dans le hall d’entrée.
Quelques instants plus tard, le capitaine LEGORJUS quitte les lieux pour rejoindre la brigade d’Ecully et le reste de son groupe. Seul son adjoint, l’adjudant M…, reste en observation chez madame D… Un quart d’heure s’est à peine écoulé que l’on sonne à la porte. Curieux face à face entre le sous-officier et ce visiteur incongru. Une simple porte palière les sépare. L’œil collé au «judas» l’adjudant M… dévisage le nouvel arrivant. Qui est-ce ? Que veut-il ? Peut- être croit-il être chez Wanda ? En effet il se ravise, toque à l’autre porte. Wanda ouvre à son visiteur. C’est le moment d’agir pense l’adjudant M… A un contre deux la surprise peut jouer. Et puis non la consigne c’est la consigne. J’observe et je me tais.
Soucieux du respect des ordres reçus, l’adjudant M..„ un vieux soldat, n’est pas homme à se laisser aller aux initiatives personnelles par gloriole. Il sait aussi qu’il n’a pas le droit d’intervenir en civil. Il reste muet, mais vigilant.
Pendant ce temps, à la brigade d’Ecully, les équipes du G. I. G. N. enfilent leurs combinaisons d’intervention et vérifient armement et matériels divers. L’ami de Wanda est là aussi ; il avoue aux gendarmes être sorti de la résidence pour renseigner « la forcenée » sur la présence des forces de l’ordre.
— Il faut faire vite, s’exclame le capitaine LEGORJUS, si Wanda ne voit pas son ami revenir, elle va se méfier, on peut craindre le pire.
— Si vous êtes d’accord, mon colonel, et vous mademoiselle le substitut, j’interviens en douceur, mais comme l’éclair, pour neutraliser Wanda, après avoir investi discrètement l’appartement dont les accès ne sont pas bloqués.
— Vous ne tentez pas l’action en force ? rétorque le colonel.
— Trop risqué. Elle est seule, l’explosion de la porte palière va l’affoler. Si elle est au fond de l’appartement elle aura le temps de retourner son arme contre elle.
— Vous ne voulez pas parlementer pour la convaincre ? avance le substitut.
— D’après ce que je sais maintenant, elle est au creux de la vague. Je crains fort de ne pouvoir la persuader; d’au¬tant que la vue de l’uniforme risque de l’énerver. Si j’échoue dans ma tentative de neutralisation par surprise on pourra toujours engager le dialogue… il n’y a pas d’otage.
— D’accord, à vous de jouer mon capitaine.
Munis d’équipements légers, dix hommes du G.I.G.N, rejoignent, par équipe de deux, dans l’obscurité, l’appartement mitoyen de celui de la forcenée, tandis que deux autres restent dans le hall d’entrée de l’immeuble pour en interdire l’accès.

L’adjudant M… ouvre à son chef et l’informe de la présence du visiteur inattendu chez Wanda.
— Ça ne change rien à l’opération, murmure le capitaine. Voilà votre sac, mettez-vous en tenue.
Depuis cette base de départ idéale, trois équipes amorcent leur progression sur les balcons, deux, côtés parking, prêtes à se glisser dans l’appartement par la chambre et le bureau, la troisième, côté jardin, pour investir discrètement la cuisine. Un gendarme est laissé sur le palier pour contrer toute sortie.

Assaut chez Wanda
L’appartement douillet d’une résidence  » bon chic bon genre « .

Le dispositif est en place. Les fenêtres, tantôt s’allument, tantôt s’éteignent. Ainsi les déplacements de Wanda et de son ami peuvent être suivis.
— Objectif situé au salon énonce à voix basse chaque chef d’équipe, dans la radio pas plus encombrante qu’un « Walk-man ».
— Pénétration, répond sèchement le capitaine.
L’adjudant M… ouvre délicatement la porte-fenêtre de la chambre et s’introduit avec un gendarme dans la place. Le bruit des pas est étouffé par l’épaisse moquette au sol, la respiration à peine retenue des deux hommes n’est pas perceptible. Tout va bien.
Côté parking, l’équipe numéro 3 accomplit les mêmes gestes et investit la cuisine dans les mêmes conditions. Rien à signaler. Wanda et son visiteur sont au salon.
Sur le balcon, le capitaine LEGORJUS et l’équipe numéro 2 sont prêts à entrer dans le bureau quand Wanda et son ami y pénètrent et vont s’installer sur un canapé. Ils discutent âprement, sans se rendre compte qu’ils sont observés. Apparemment ils ne sont pas armés. Wanda parle, parle… son interlocuteur prend des notes… c’est un journaliste vraisemblablement.
A l’intérieur de l’appartement les hommes en noir du G. I. G. N. continuent leur approche furtive. Chaque équipe a maintenant toute initiative ; la mieux placée interviendra pour neutraliser l’objectif les autres agiront en couverture.
Peu à peu, le piège se referme. L’adjudant M… et son coéquipier sont dans le couloir, à la porte du bureau restée entrouverte. Leurs regards se croisent un instant, ils se sont compris : à chacun son objectif. En un éclair, une ombre noire se jette sur Wanda, la cloue au sol ; elle hurle. Le bras tordu dans le dos, son visiteur est lui aussi immobilisé, plaqué au mur; il ne comprend pas ce qui lui arrive:
— Je suis journaliste, articule-t-il.
— Opération terminée, lance à la radio le capitaine LEGORJUS, après avoir récupéré le « calibre 12 », non chargé, et plusieurs boîtes de cartouches négligemment abandonnés dans le salon.
Il faudra quatre hommes du G.I.G.N, pour contenir Wanda en proie à une crise de nerf ; elle pleure, elle n’en finit pas de parler, elle en veut à la terre entière, elle ne peut supporter la vue d’un képi, celui d’un gendarme comme celui d’un pompier. Seuls les hommes du G. I. G. N., nu-tête, trouvent grâce à ses yeux ; sans se rendre bien compte de ce qui lui arrive, elle pense peut-être qu’ils l’ont délivrée de son cauchemar.
Tandis que le journaliste téléphone à sa femme pour la rassurer et lui dire qu’il rentrera tard — il dîne avec le G.I.G.N. — Wanda quitte la résidence:
— Ils ont gagné, dit-elle à qui veut l’entendre.
Qui a gagné ? Ceux qui ont obtenu l’expulsion de Wanda ? Le G.I.G.N., parce qu’il a réussi sans bruit ?
L’ambulance conduit maintenant Wanda vers l’hôpital Edouard-Herriot et son nouveau destin. Peu de monde à regarder le triste cortège qui s’éloigne. Est-ce de l’indifférence ? Peut-être, mais ce soir, à la télé, le match de coupe d’Europe de football Lens-Anderlecht passionne sûrement davantage que le sort de Wanda.
Il est 22 heures. Tout est fini. C’est l’heure du bilan.

Le capitaine LEGORJUS, à la fin de la mission, fait son rapport par téléphone dans la chambre de la sado-thérapeute. Difficile de garder son sérieux…

Affaire banale direz-vous… parce qu’elle a réussi. Mais elle aurait pu tourner au drame.
Les gendarmes du Rhône — les territoriaux comme on a coutume de dire — ont agi avec courage en essuyant la première salve, avec prudence aussi en sachant se retirer à temps et en réalisant l’environnement de l’objectif sous tous ses aspects. Ils ont su préparer l’intervention de leurs collègues du G. I. G. N.
Le capitaine LEGORJUS s’est montré persuasif auprès du commandant du groupement et du magistrat du parquet, les tenant au courant de ses intentions. Son analyse très fine de la situation, ne laissant rien au hasard, son étude de la personnalité de Wanda, facilitée par les propos d’un journaliste l’ont conduit très tôt à opter pour une action « en douceur » — selon son expression.
Pour leur part les treize hommes du G.I.G.N, ont adhéré, sans faille, à la mission ; à chacun son rôle et rien que son rôle.

En résumé, un travail d’équipe, sans cavalier seul. Du grand art en somme… pour les connaisseurs.

Le dîner traditionnel après chaque intervention. Ici, après Wanda. Au premier plan à gauche, le journaliste Robert Marmoz, de Libération.
1984 intervention chez Wanda
Une bonne couverture de l’évènement…

Extrait de la Revue de la gendarmerie nationale N°139 de 1984, « Cas concret » rédigé par le colonel LEMÉE