GIGN, chevaliers des missions impossibles (Paris Match 1999)

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Peu avant 9 heures, les X.M. bleues et les Safrane grises banalisées déboulent, une par une, sur la piste de l’aéroport de Villacoublay. A l’intérieur, trois super-gendarmes et un détenu menotté, assis à gauche de son gardien, vêtu de la combinaison bleu nuit du G.I.G.N. Destination : Ajaccio, pour la reconstitution de l’assassinat du préfet Érignac. Les terroristes se revoient pour la première fois depuis leur arrestation. Mais aucun n’a le droit d’adresser la parole à l’autre. « Dès le départ, on leur a mis le marché en main, explique l’un des gendarmes. S’ils se tenaient tranquilles, tout se passerait bien. Ils ont respecté la règle. C’était leur intérêt ».

A LUI SEUL, LE G.I.G.N.
CONSOMME A L’ENTRAINEMENT
PLUS DE MUNITIONS QUE
TOUTE LA GENDARMERIE
REUNIE…

A l’avant, un bouclier pare-balles de 17 kilos ; séance de « tir au dégainé ». Chaque homme, ici, est un tireur d’élite.

Dans le Transall encore peint en blanc d’une précédente mission de la paix, les assassins présumés du préfet de Corse montent à tour de rôle avec leur ange gardien placé toujours à gauche, afin que le revolver, à la hanche droite, soit éloigné des mains du prisonnier. Assis sur les sièges de toile de l’avion militaire, chaque groupe se tient à l’écart l’un de l’autre dans la carlingue vide. A Ajaccio, rien n’a été laissé au hasard. Le patron du G.I.G.N. a dépêché sur l’ile cinq éléments précurseurs. Ce 23 juin, jour du transfert, il dirige avec son adjoint les opérations, menées par trente-trois gendarmes qui assurent cette mission délicate. « De l’extraction de leur prison à leur retour, quarante-huit heures plus tard, nous étions responsables des détenus, explique-t-il. A nous d’assurer la continuité du dispositif pour, à la fois, empêcher une évasion et protéger la vie des personnes placées sous notre protection ».

Ils détestent être pris pour des Rambo.
« Chez nous, on parle d’adversaire, pas d’ennemi.
La haine n’a pas droit de cité »

Au sein de cette unité d’élite, qui fête son vingt-cinquième anniversaire, le mot ennemi est banni du vocabulaire. « Chez nous, on parle d’adversaire, me dit un adjudant. La haine, la revanche n’ont pas droit de cité ». « J’ai été surpris d’entendre les hommes du G.I.G.N. parler de leur client, en évitant les expressions du genre « le salaud » ou « l’ordure ». Je sens bien que ce n’est pas simplement une attitude, mais le résultat d’une volonté de toujours garder à l’esprit le respect de l’être humain qui est en face de nous », se souvient Philippe Legorjus, ancien commandant de l’unité, dans son livre de souvenirs qu’il a intitulé « La morale et l’action ». Ce qu’exècrent ces hommes triés sur le volet, c’est d’être pris pour des Rambo, même si, sur le terrain, ils y ressemblent fortement.

Equipés de gilets pare-balles et de casques dernier cri, chaque gendarme du G.I.G.N. possède trois ou quatre armes, réglées à sa mesure, qu’il est le seul à utiliser. A chaque action correspond un calibre et un type d’armes. Sur le terrain, il en porte toujours deux. Un 357 Magnum 4 pouces peut être doublé par un pistolet Beretta ou un mini H.K. 9 mm, avec réducteur de son et visée laser invisible. Muni d’un masque à intensificateur de lumière, seul le tireur voit, de nuit, le point sur le corps de sa cible, qui ne se doute de rien.

Chaque gendarme est un tireur d’élite qui grille, en moyenne, une centaine de cartouches par jour. Plusieurs barils de 200 litres, remplis de douilles, remisés dans un coin le prouvent. A lui seul, le G.I.G.N. consomme plus de munitions que toute la gendarmerie réunie. Le groupe dispose d’un véritable arsenal. Il possède même le fusil Hecate II, qui tire des balles de mitrailleuses de 12,7 mm capables de percer un mur à 1 kilomètre. Idéal pour un terroriste qui se croit protégé par la façade d’une maison. « Impossible de tirer beaucoup de coups à la suite si on veut ménager sa rétine. Et se protéger de l’onde de choc », explique le servant de cette arme redoutable, utilisée en dernière extrémité. « La mort d’un homme est toujours un échec », me précise l’un de ses camarades. Sans être des enfants de chœur pétris de sensiblerie, il y a, paradoxalement, un peu de l’esprit boyscout et de charité chrétienne dans ces croisés, entraînés pourtant à neutraliser celui qui menace autrui.

Les super-gendarmes s’exercent au coup de feu, fusil au poing et casque pare-balles sur la tête; un « trinôme »n(unité de combat) à l’entraînement dans un bâtiment désaffecté.

Autrement dit, à tuer. « S’il n’y a pas moyen de faire autrement, après avoir épuisé toutes les possibilités », reprend un sous-off. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Matériels et psychologie. Pour recueillir des informations sur leur adversaire, les moyens électroniques sophistiqués ne manquent pas. C’est MacGiver, comme on le surnomme dans le groupe, qui « bricole » les gadgets dans son atelier.
« J’utilise des moyens spéciaux pour le recueil de renseignements, lâche-t-il. Il arrive que je sois obligé d’adapter, en les réduisant par exemple, des objets qui existent déjà mais qui sont trop volumineux pour nos types de mission ». Entré dans la gendarmerie en 1982, MacGiver est venu au G.I.G.N. grâce à son diplôme d’électronique générale. Son truc, ce n’est pas de grimper, de ramper, de se faire hélitreuiller au bout d’une corde.

Pour résoudre une affaire, le G.I.G.N. a toujours privilégié le dialogue afin d’éviter de faire couler le sang. Depuis 1992, des négociateurs sont issus de chacun des quatre groupes d’intervention. Ceux de la cellule « opérations et évaluations » analysent chaque mission en cours ou à mener. « Il s’agit de trouver la bonne adéquation entre les besoins de l’enquête et les nécessités opérationnelles, m’explique l’adjudant Bruno, qui conserve l’anonymat, comme les 102 super-gendarmes de l’unité. Le secret est important : il faut que nous ayons toujours un temps d’avance. Avant les braqueurs n’attaquaient pas les fourgons au lance-roquettes ou au fusil d’assaut. Maintenant, ils trouvent des kalachnikovs pour 2 500 francs pièce. Sur le plan technique, il a fallu s’adapter. Nos boucliers ne pèsent plus que 17 kilos mais sont capables d’arrêter des balles de gros calibre ». Un matériel de plus en plus sophistiqué mis au point à la fois pour protéger le gendarme et neutraliser l’adversaire, si possible en douceur, grâce à l’intervention du négociateur.

La nuit, tous les chats sont verts pour les gendarmes grâce à
"Lucie" - un amplificateur de lumière.
La nuit, tous les chats sont verts pour les gendarmes grâce à « Lucie » – un amplificateur de lumière.

Les détenus refusant de répéter le scénario qui s’est déroulé dans la soirée du 6 février 1998, la reconstitution tournera court, au grand dam du juge Jean-Louis Bruguière et d’Irène Stoller, la responsable de la 14° section du parquet de Paris. Manquait Yvan Colonna, le tireur présumé désigné par des membres de l’équipe. Depuis le 22 mai, il est en fuite et toutes les recherches ont été vaines. Entre les soldats perdus de la cause nationaliste et les super-gendarmes qui les escortent, le courant passe parfois, au cours de cette visite de deux jours dans l’ile. Un détenu parle de la beauté de l’ile. Un autre rêve d’un avenir radieux. Des banalités que les « anges gardiens » écoutent. Avec eux, pas d’humiliation ni de rapport de forces inutiles. Criminels ou pas, les détenus sont traités comme des hommes. Ce qui n’empêche pas de rester sur ses gardes et d’éviter la moindre faute. Les membres du commando ont été confondus. Certains ont parlé ; ils risquent la mort. Aussi ne sont-ils pas mécontents que le G.I.G.N. les protège. Le groupe d’intervention n’a pas participé aux enquêtes. Chaque fois qu’il intervient, c’est à chaud. Pour un face-à-face d’homme à homme. En professionnels, sans état d’âme tout au moins apparent. 

MAIS IL COMPTE AUSSI SUR SON
NEGOCIATEUR POUR OBTENIR
LA REDDITION DE CES FORCENÉS
QUI « PERDENT LES PEDALES »

« Pour faire ce boulot, il faut déjà, au départ, en avoir envie, me confie le plus ancien. Une ouverture d’esprit accompagnée d’une grande capacité de réflexion et d’écoute est nécessaire. Le principe, c’est de ne jamais promettre si on ne peut pas tenir ce qu’on avance. Le négociateur est une aide, un outil supplémentaire. Le but, c’est d’obtenir la reddition d’un adversaire ». L’adjudant ne compte plus le nombre de forcenés qui, de guerre lasse, ont fini par lui donner leur fusil de chasse après plusieurs heures de discussion. Chômeur, cocu, divorcé, paysan endetté, petit entrepreneur en faillite, schizophrène, dépressif… C’est à l’éventail de toute la misère humaine que le G.I.G.N. est confronté à longueur d’année. Des forcenés qui, à un moment donné, « perdent les pédales » et commettent l’irréparable en abattant parfois leur propre famille, leurs voisins, sur un coup de tête. Ce ne sont pas des professionnels des armes à feu, mais ils restent dangereux car imprévisibles.

Au G.I.G.N., les négociateurs ne restent pas en retrait. Ils appartiennent à un groupe et participent à l’assaut, si nécessaire. Ils suivent des stages, animés par des civils spécialisés dans la gestion de crise dans les entreprises. Mais, surtout, c’est l’expérience d’un quart de siècle qui nourrit les négociateurs rompus, comme les autres, à tous les cas de figures. « Chez nous, l’anticipation reste fondamentale. Le but est de repousser, grâce à notre savoir-faire, l’usage de la force », explique le commandant.