Bluff à Téhéran, traque en Corse, la R5 du chef… Le GIGN livre ses derniers secrets (Le Figaro.fr)

1093

Alors que l’unité d’intervention va célébrer ses 50 ans, les patrons qui l’ont commandée se confient dans un livre.

Sur l’épopée du GIGN, on pouvait imaginer que tout avait été écrit ou presque. Mais à quelques mois de célébrer les 50 ans de l’unité d’intervention de la gendarmerie, les onze «patrons» qui ont commandé le prestigieux groupe viennent de livrer leurs derniers mystères. Ainsi en est-il du magistral coup de bluff mené début août 1984, alors qu’un Boeing 737 d’Air France est détourné vers l’Iran par trois pirates de l’air, et atterrit à Téhéran. Équipés d’armes blanches et de grenades, ils réclament la libération de cinq Iraniens détenus en France pour avoir tenté d’assassiner l’ancien premier ministre Chapour Bakhtiar. Mais Paris rejette leurs exigences. Une nuit durant, les 58 passagers et les 6 membres d’équipage imaginent alors le pire. Mais à la surprise générale, après avoir fait exploser le cockpit, le commando finit par se rendre. 

Capture vidéo Antenne 2 Le Journal de 20H – 02.08.1984

Quarante ans plus tard, Philippe Legorjus, alors numéro deux du GIGN, révèle que les gendarmes ont mené ce que les militaires nomment dans leur langage une «opération de déception» visant à tromper l’adversaire et obtenir leur reddition. Pendant le détournement, les super-gendarmes envoient un détachement à l’aéroport du Caire en prenant soin d’être sciemment repérés, à la vue de tous. «Tout le monde a cru que l’on montait un raid sur Téhéran. C’était une opération d’intoxication, organisée avec le Quai d’Orsay et les services français, qui a permis de faire libérer les otages sur place à Téhéran», souffle Philippe Legorjus.

Capitaine Philippe LEGORJUS présentant des armements

Il y a eu beaucoup de missions en Afghanistan. Elles nous ont permis d’élever le niveau technique et tactique des gendarmes du « GI » face au terrorisme

Denis Favier, une des figures tutélaires du GIGN

Jamais racontée parce que longtemps classée secret-défense, cette histoire est l’une de ces pépites sorties de l’ombre par la parution d’un livre événement qui se dévore plus vite qu’il n’en faut – ou presque – au GIGN pour dénouer les pires prises d’otages.

Au travers d’un exceptionnel récit choral, les onze commandants du «GI», comme l’appellent entre eux les membres de cette fraternité d’armes, dévoilent des opérations menées dans la plus grande discrétion. L’une d’elles a ciblé le leader serbe Radovan Karadzic, traqué par les forces spéciales de plusieurs pays, dont la France, jusqu’à son arrestation en 2008. À la demande des commandos, en lien avec les militaires du 13 RDP, une dizaine de gendarmes d’élite se rendent en décembre 2000 à Pale, capitale de la zone serbe de Bosnie, pour dissimuler des balises sous la voiture de la fille puis sous le 4 × 4 d’un fils de Karadzic, brancher un «mouchard» sur la ligne téléphonique du chalet de son épouse ou encore former de faux couples de touristes avec des agents de la direction du renseignement militaires afin d’installer des caméras dans l’hôtel.

Debout de gauche à droite: Laurent Phélip, Denis Favier, Christian Prouteau, Philippe Legorjus, Thierry Orosco, Hubert Bonneau et, assis sur le divan, l’actuel commandant de l’unité, le général Ghislain Réty. Tous unis dans une fraternité d’armes SEBASTIEN SORIANO/Le Figaro 2023

Un discret déploiement en Afghanistan durant 13 ans

Nom de code ? Mission Leclesio, menée sous la houlette du général Philippe Rondot, alors conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales au ministère de la Défense. À en croire Ghislain Réty, actuel commandant du GIGN, engagé à l’époque comme capitaine: «Cette mission en Bosnie fut certainement la plus belle, après l’opération de Marignane». Sur tous les fronts des «opex», le GIGN s’est aussi discrètement déployé en Afghanistan pendant treize ans, de 2001 à 2014 pour mener ,aux côtés des armées françaises et étrangères, de nombreuses missions de reconnaissance, des coups de main et même des arrestations de talibans. «Il y a eu beaucoup de missions en Afghanistan. Elles nous ont permis d’élever le niveau technique et tactique des gendarmes du “GI” face au terrorisme, explique Denis Favier, une des figures tutélaires de l’unité. Rusticité, militarité, réaction au feu. Nous avons mené des opérations extrêmement intéressantes, au sein de détachements interarmes, pour arrêter des gens recherchés et, la plupart du temps, sans tirer un coup de feu. (…). L’Afghanistan nous a permis de franchir un cap en matière de capacités antiterroristes.»

Un des épisodes les plus truculents prend la forme d’une histoire corse : en 2002, un haut responsable de la police sollicite le GIGN pour monter une opération d’interpellation d’Yvan Colonna dans le maquis. «Ce quelqu’un, c’était Roger Marion, directeur central adjoint de la police judiciaire chargé des affaires criminelles», raconte Thierry Orosco, patron de l’unité de 2011 à 2014. Après avoir pris rendez-vous dans un hôtel près de la place Beauvau, l’ex-grand flic reçoit dans son bureau le super-gendarme et met de la musique pour ne pas être écouté. «Il me montre des photos aériennes magnifiques, faites par la DGSE sur une zone en particulier», se souvient Thierry Orosco, qui les juge «très belles, mais inutilisables».

Equipier équipé d’un fusil d’assaut Heckler & Koch (HK) modèle G3A3 TGS en calibre 7,62 NATO, équipé d’un lance grenades
de 40mm.

Après le passage d’avions de chasse dotés d’une caméra thermique pour détecter, dans une zone montagneuse, trois bergeries d’altitude suspectes, l’idée est alors de réaliser une opération héliportée, en larguant une trentaine d’opérateurs du GIGN pour progresser en pleine montagne jusqu’à la cible, s’assurer qu’il s’agit bien du berger de Cargèse et le ramener sur le continent. «Des Mirage de l’armée de l’air, basés dans l’est de la France, ont donc fait des passages au-dessus de la zone suspectée (…). C’était positif, raconte Orosco. La Foudre – un bâtiment de la marine -, revenant de trois mois de mission en Méditerranée orientale, l’état-major des armées a alors proposé de lui demander de faire quinze jours de “ronds dans l’eau” autour de la Corse. Toute l’opération a commencé à se monter, avec l’idée de lancer durant les deux tours de l’élection présidentielle (les 21 avril et 5 mai 2002). Au dernier moment, elle est finalement annulée. Les armées ont assuré que leurs moyens n’étaient plus disponibles (…). La zone géographique suspectée était bien celle dans laquelle se trouvait le berger corse. Si nous avions lancé l’opération à ce moment-là, nous aurions eu de fortes chances de réussite».

«Les récits des commandants du GIGN, souvent haletants, réservent des surprises»

Treize mois plus tard, c’est le Raid, après l’avoir pourchassé jusqu’en Amérique du Sud, qui mettra fin à ses 1500 jours de cavale à force de planques opiniâtres dans les environs de Propriano, au sud de l’île de Beauté. Rassemblés de manière millimétrée sous la plume de Pierre-Marie Giraud, journaliste à l’AFP pendant quarante ans, les récits des commandants du GIGN, souvent haletants, réservent des surprises. À peine créé, le GIGN fut ainsi à deux doigts d’entrer dans les annales lorsque, le 13 janvier 1975, sur l’aéroport d’Orly, un commando de trois Palestiniens armés d’un lance-roquettes tire en vain à deux reprises en direction d’un avion de la compagnie israélienne El Al stationné sur le tarmac, avant de s’enfuir. Une semaine plus tard, le même commando, plutôt culotté, revient à Orly, récupère un lance-roquettes caché dans le faux plafond de l’aéroport et rate à nouveau un second avion d’El Al, qui est hors de portée.

Lance-roquettes du commando retrouvé dans un véhicule

Après une fusillade avec la police, les terroristes prennent en otages dans des toilettes dix personnes, qu’ils libèrent le lendemain au pied d’un avion d’Air France qui atterrira finalement à Bagdad. «On saura plus tard que le terroriste Carlos se trouvait dans les toilettes où s’était réfugié le commando. Quand ils sont partis, ils nous ont fait le V de la victoire. Chirac, alors premier ministre, n’a pas voulu que le GIGN intervienne. 

Cinq mois plus tard, le 27 juin, Carlos a tué deux policiers de la DST, à Paris», grince encore Christian Prouteau, père fondateur du groupe. Quand ce dernier porte l’unité sur les fonts baptismaux le 1er mars de l’année précédente, il a le grade de lieutenant et le «GI» ne compte que dix-huit hommes. Des gendarmes «triés sur le volet, surentraînés, rompus aux nouvelles techniques de combat et au courage insensé», souligne Pierre-Marie Giraud. «En mars 1974, il y avait tout à faire», se souvient Christian Prouteau, qui va compter sur le système D pour développer son unité.

Pour la cérémonie d’ouverture des JO, je vais aligner 400 personnels du GIGN. C’est une souplesse et une puissance que possèdent peu d’unités dans le monde

Général Ghislain Réty, commandant actuel du GIGN

C’est ainsi qu’il met au point, avec ses hommes, la descente en rappel à la corde lisse depuis un hélicoptère immortalisé dans le film Peur sur la ville (1975) avec Jean-Paul Belmondo, des équipiers du GIGN et leur chef. À l’époque, révèle Christian Prouteau, le GIGN possédait peu de cordes. Verneuil en finance un lot pour le tournage, que l’unité utilisera pendant un an. Faute de crédits, les sous-officiers du groupe vont par ailleurs construire de leurs propres mains leur stand de tir à Maisons-Alfort, dans les douves du fort de Charenton, à partir de plans dessinés par leur chef. Alors que chaque équipier se voit aujourd’hui doter d’une dizaine d’armes, les pionniers du groupe ne disposaient pas de casques, ni de gilets pare-balles individuels. Pour les alertes, Prouteau était le seul à avoir un téléphone à son domicile.

« S’engager pour la vie »

Lors des premières interventions, raconte le livre de souvenirs, les gendarmes partaient en Estafette, la fameuse fourgonnette Renault des années 1960-1970 qui pouvait emporter huit passagers à la vitesse maximum annoncée de 90 km/h. «On n’allait pas très vite, commente Christian Prouteau, on était toujours à fond!» Il faudra attendre 1976 pour que les gendarmes d’élite décrochent des 504 break Peugeot et une R5 Alpine Renault pour son commandant. Le «GI» est à des années-lumière de sa dernière métamorphose, qui l’a récemment porté à un millier d’hommes, équipés de moyens matériels ultra-sophistiqués, déployés sur sept sites ultramarins et rayonnant à l’échelon mondial (Ukraine, Irak, Sahel ou encore Haïti). «Ce GIGN 3.0 n’a jamais été aussi fort, assure le général Ghislain Réty. Pour les JO, on va pouvoir le constater également. Pour la cérémonie d’ouverture du 26 juillet 2024, je vais aligner 400 personnels du GIGN. C’est une souplesse et une puissance que possèdent peu d’unités dans le monde.»

Groupe d’intervention de la FI (2023)

Tout en préparant cet événement planétaire, les gendarmes multiplient les interventions contre les forcenés et les pirates informatiques, contre les go fast et le haut du spectre des prédateurs qui menacent la France. Mais derrière les exploits, rappelle Pierre-Marie Giraud, «il y a surtout des sous-officiers et des officiers, sélectionnés et formés à la dure, passionnés par leur métier, qui ne vivent que pour le groupe. Ils ressentent l’obligation de se dépasser en permanence, de développer leurs compétences physiques et techniques». En opération et à l’entraînement, l’unité paie le tribut du sang et des larmes. Au total, 21 gendarmes du GIGN, et des deux unités (GSPR et EPIGN) qui lui seront rattachées en 2007, sont morts entre 1974 et 2023.

Des dizaines ont été blessées, parfois très grièvement, avec une devise jamais démentie en un demi-siècle: «S’engager pour la vie».

«Le GIGN par ceux qui l’ont commandé», par Pierre-Marie Giraud et les commandants du GIGN. Mareuil Éditions. 21 euros. Marceuil Editions