[GIGN] Retour sur l’action finale du GIGN lors de l’affaire OUVÉA en Nouvelle Calédonie (1988)

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« L’affaire d’Ouvéa » a secoué la classe politique il y a 30 ans entre les deux tours de la présidentielle. Au-delà d’un enjeu politique, ce que retiennent les gendarmes du GIGN qui y ont été impliqués, c’est avant tout un sentiment d’injustice à l’égard des innocents exécutés par les kanaks.

Au cours des recherches, 6 gendarmes du GIGN sont pris en otage. En effet, alors à proximité de la grotte, le substitut du Procureur Jean BIANCONI a rejoint le groupe du GIGN sur place et s’est proposé de s’approcher des preneurs d’otages au motif qu’il connaissait certains d’entre eux.

Il prend deux bouteilles d’eau minérale et s’avance dans leur direction. Le capitaine LEGORJUS, fait de même. Leur stratégie échoue et ils se retrouvent tous les deux pris en otage. LEGORJUS devant expliquer pour quelle raison il était accompagné de gendarmes, il se présenta donc comme un officier de la Direction mandaté comme médiateur et insiste sur le fait qu’il est accompagné de six gendarmes seulement.
De ce fait il évite que l’ensemble du groupe composé de 16 gendarmes ne se fasse embarqué dans la grotte.

Peu de temps a pu s’écouler entre leur tentative de négociation et la nouvelle menace des kanaks d’abattre de nouveau des otages. Ces derniers sortent alors un des gendarmes de la grotte, le positionne contre un arbre faisant office de peloton d’exécution, lui place le canon d’un pistolet automatique sur la tempe et s’adressent à Philippe LEGORJUS en lui demandant d’appeler ses hommes à se rendre, sinon ils l’abattront.

Afin d’éviter toute nouvelle exécution, six membres de l’unité décident de rendre les armes pensant apaiser la colère des geôliers. Mais la menace se faisait de plus en plus importante et ces derniers souhaitent absolument les voir, debout, face à eux.

La première réaction des gendarmes du groupe fut bien entendu de refuser ; mais de l’autre côté, en face, hurlait un gendarme dont les secondes qu’il restait à vivre diminuaient rapidement.

Le regard de six d’entre eux se sont croisés, puis ils ont pris la décision de se lever. Cette décision a littéralement fait basculé la situation en dépit des risques que cela engendrait mais les cris de cet homme les ont convaincu.

Leur demande suivante fût de leur demander d’avancer dans leur direction ; il ne leur était de toute façon plus possible de faire marche arrière. Mis en joue, les uns après les autres ils s’avancent en direction de ce lieu infâme. Une fois dans la nasse, ils découvrent Jean BIANCONI et Philippe LEGORJUS ligotés les mains dans le dos. Le sort a été le même pour eux, puis qu’ils ont été jetés dans cette grotte qui s’enfonçait à huit mètres sous terre.

La détention sous terre fut particulièrement éprouvante. En plus du manque de nourriture, les pressions psychologiques affectent partculièrement les gendarmes pourtant solides dans leurs têtes…

Quotidiennement menacés de mort et mis en joue sans jamais savoir si les kanaks allaient passer de nouveau à l’acte ou non. Cette minuscule cavité dans laquelle ils étaient terrés ne dépassait pas un mètre cinquante de hauteur, et ils étaient entassés sur deux mètres carrés, enchaînés deux par deux.

Leur seul et bref soulagement fut de d’avoir obligé les preneurs d’otages à « sortir » seize autres gendarmes de ce trou lors de leur venue. Pas libérés bien entendu, mas ils vivaient à l’entrée de la grotte, pouvaient discuter et jouer aux cartes entre eux. La menace venait donc des six membres du groupe, bien identifiés comme appartenant au GIGN. Car dans leur retraite, leurs 10 camarades avaient oublié une combinaison sur place affublée d’un écusson du GIGN… Les kanaks avaient donc la certitude que leurs nouveaux otages étaient des membres du GIGN.

Libérés de leurs faits et gestes deux jours avant l’inévitable assaut final, les otages se sentaient déjà psychologiquement mieux.

Jean BIANCONI, libéré au cours de la première nuit de captivité, continuait de leur rendre visite quotidiennement. « Je viens rendre visite à mes amis, leur dire bonjour et leur descendre quelques bouteilles d’eau » disait-il aux preneurs d’otages. Jean BIANCONI était devenu leur seul lien avec l’extérieur. Les kanaks devaient donc lui laisser une certaine liberté d’action. Les otages du GIGN étaient enchaînés avec un vieux modèle de menottes, lesquelles s’ouvraient toutes avec le même type de clé. Le substitut du procureur en avait fait passer une un matin. A partir de ce jour, le cran restait déverrouillé.

La veille de l’assaut, lors de sa visite, il s’agenouilla devant eux, hauteur de plafond oblige, il ouvrit son pantalon, arracha une bande d’élastoplaste fixée sur ses parties génitales, et leur demanda de se servir. Il y avait deux revolvers Smith & Wesson calibre 38 Spécial. Ils étaient sauvés. Cette action est d’autant plus héroïque qu’il était régulièrement fouillé avant de descendre les voir. Ainsi Jean BIANCONI venait de sauver 25 vies.

La veille de l’assaut, alors qu’il commençait à pleuvoir, les membres du GIGN retenus dans la grotte ont fait le maximum pour faire descendre des otages à leurs côtés, prétextant qu’il allait y avoir un orage. Les otages se trouvant près d’eux à huit heures le lendemain matin, pouvaient se considérer comme sauvés. Malheureusement certain ne voulaient pas descendre et il leur était impossible de leur expliquer qu’un assaut était prévu.

Lors de la l’arrivée du GIGN et du Commando du Service Action de la DGSE, la presque totalité des otages restés à l’entrée de la grotte se sont empressés de descendre. Réfugiés dans une cavité légèrement en retrait, les gendarmes d’élite – otages ont pu, à l’aide de leurs deux petites armes, riposter lorsque des kanaks sont descendu pour tenter de les exécuter en guise de représailles. Ils sont venus tirer des rafales d’armes automatiques à plusieurs reprises.

Au bout de 5 heures d’assaut, asphyxiés par les grenades lacrymogène lancés par les membres du GIGN voulant faire sortir les derniers récalcitrants cachés à l’entrée de la grotte, les gendarmes du GIGN otages ont trouvé une minuscule cheminée par laquelle ils ont pu évacuer les gendarmes mobiles qui étaient à leurs côtés. Fermant ainsi la marche, ils n’ont recouvré l’air libre en début d’après-midi.

A l’issue d’un assaut sanglant commun du GIGN, du commando Hubert et du 11ème Choc, le bilan est terrible mais la situation est rétablie.

Retour sur le récit de l’ancien patron du Groupe – Philippe LEGORJUS – dans son livre « La Morale et l’action » publié en 1994 :

 » Le GIGN, qui s’était transformé en unité de commando va reprendre ses caractéristiques d’unité spécialisée dans les interventions avec prise d’otages.

Nous allons utiliser tout le matériel à notre disposition : grenades flash, assourdissantes, lacrymogènes, aveuglantes, offensives sans éclats. Un arsenal qui permet une sidération totale à laquelle, nous le savons par expérience, personne ne peut résister, surtout dans un endroit confiné. Bien que ce traitement soit terriblement offensif, il est uniquement psychologique et mental. Il ne libère pas de forces destructrices.

L’armement individuel des hommes du GIGN pour ce dernier assaut est sélectif ; outre les armes de poing, certains sont équipés de PM à marquage de cible laser qui permettent de tirer à coup sûr dans l’obscurité.

C’est Michel, Chef du Groupe 1, qui désigne les hommes qui feront partie de cette équipe. Mon état physique déplorable me retient d’en prendre moi-même le commandement. De plus, il est préférable que, depuis l’extérieur, je contrôle l’ensemble du dispositif d’assaut placé, dans cette phase, sous ma direction.

Vers midi et demi, un des tireurs d’élite du groupe Hubert me signale qu’il a la tête de Dianou dans son viseur. Je demande à un officier-marinier, mon instructeur dans les commandos de marine douze ans plus tôt, d’interpeler Alphonse une dernière fois. Celui-ci ne sait toujours pas qui je suis réellement et m’a fait demander à plusieurs reprises.

– Dianou! Philippe ne viendra pas. Il faut libérer les otages et te rendre à la gendarmerie !

– J’emmerde l’armée française. Si je dois mourir vous mourrez avec moi. Sur ma terre !

L’adjudant-chef Coquet est toujours en bouclier devant la grotte. Il a retiré sa chemise pour qu’on ne le confonde pas avec un mélanésien. Le général Vidal proche de l’équipe d’appui demande :

– Vous l’avez toujours en mire ?

– Oui, mais j’ignore s’il s’agit de Dianou.

– Autorisation de faire feu !

L’officier-marinier hurle à Coquet de se planquer. La balle ne frappe pas Dianou, c’est un autre Kanak qui s’affaisse.

Ce coup de fusil donne le signal de l’ultime assaut. Le lance-flammes a été mis en batterie. Le jet de feu n’est pas dirigé vers l’entrée de la grotte mais provoque un redoutable écran de flammes qui permet aux hommes du 11ème Choc de nettoyer le seuil de ses défenseurs.

Le groupe Michel en profite pour prendre pied à l’intérieur sur la première plateforme et déchaîne l’enfer. La grotte semble exploser. Le bruit se répercute sous les voûtes comme un roulement de tonnerre. Dans les volutes de fumée, les flashes aveuglants empêchent toute velléité de riposte. Les gaz emplissent l’atmosphère. Les hommes du GIGN, le visage recouvert de leur masque, ressemblent à des extraterrestres débarquant dans un tonnerre de feu. Trois Kanaks qui résistent sont tués, les autres préfèrent se rendre et sortent en crachant et en toussant de la grotte, les mains en l’air. Une poignée de combattants s’est enfoncée dans la deuxième salle et s’approche des otages.

L’équipe du GIGN les pourchasse, tandis que Jean-Pierre Picon donne l’ordre à ses compagnons de sortir par la cheminée. Il prend la tête de la colonne, ne sachant pas ce qu’il va trouver au bout tandis que Dubois protège les arrières. Malgré la fumée et les gaz, les gendarmes accompagnés de Bianconi et de Destremeau arrivent à la surface.

Sains et saufs.

Ils sont aussitôt pris en charge par les commandos qui les entrainent vers la DZ pour les évacuer en hélicoptère. Je me suis précipité dès le début des combats pour contrôler leur délivrance.

J’aperçois Jean-Pierre qui s’extrait le premier du conduit, son arme à la main. Je savais par Bianconi qu’on lui avait confisqué ses « trekking » je lui en ai apporté une paire que je lui tends avant même de dire un mot.

– T’as l’air malin, avec tes godasses à la main, me dit-il en plaisantant pour cacher son émotion.

Je serre longuement la main de mes sous-officiers ex-otages. Ils paraissent en bonne forme malgré leurs yeux qui pleurent. Certains trouvent la force de plaisanter sur les gaz. C’est un moment unique. Beaucoup sanglotent, d’autres s’écroulent, terrassés par I’émotion. J’attends qu’ils soient évacués et je retourne avec Jean-Pierre sur le devant de la grotte pour rejoindre Michel et son équipe.

Les ravisseurs et les porteurs de thé sont maintenant prisonniers, assis en rond sous la garde des commandos. Il y a un peu de tout, du 11ème Choc, d’Hubert et des gendarmes. Je cherche Dianou des yeux, sans savoir s’il a été tué pendant le combat. […] «